Texte N° 7 Les Revenants, le journal de Stanislavski en 1905 616

Journal de mise en scène de 1905. Les Revenants.

30 janvier 1905. Nemirovitch a lu à haute voix Les Fantômes 617 à moi, à Simov et à Koloupaev 618 .

J’ai imaginé une maison triste (un Oncle Vania norvégien) avec une vue sur les montagnes et beaucoup d’air. Une journée de pluie. Une perspective de pièces. Les portraits des ancêtres. Une salle à manger, un feu de cheminée. Puis, l’incendie qui artistiquement est intéressant par son côté extérieur. Quelques scènes et quelques lueurs me sont venues à l’esprit. Le pasteur, la cheminée (c’est une surprise inattendue). Elle est amoureuse du pasteur. Les traces de cet amour et du passé lui donnent un certain intérêt. La scène comique avec l’assurance. Le genre : un pasteur avec une femme qui a été amoureuse de lui. Le tableau du final du premier acte. Premiers symptômes de la maladie du fils. L’incendie. Contraste du fils qui meurt et de la mère qui perd tout. Extinction d’une jeune vie qui pourrait vivre encore.

Ensuite ces souvenirs sont restés figés et ne se développaient pas, heurtés par le spectacle Ivan Mironytch 619 .

Aujourd’hui, 30 janvier, mon imagination a été réveillée par les matériaux trouvés chez Shekhtel 620 .

Nous avons commencé à parler avec Vladimir Ivanovitch 621 de la distribution des rôles. Qui est Osvald ? Moskvine 622  ? Comment l’imagine-t-il ? Gros, plus très jeune, inintéressant. Après de longues discussions, nous en sommes venus à la conclusion qu’il faut dire à Moskvine qu’il doit être nerveux depuis le tout début du rôle, se souvenir qu’il y a un drame enfoui dans son âme : il sait qu’il est malade. Cette nervosité lui donnera le terreau nécessaire pour le rôle et soutiendra l’intérêt, en même temps elle masquera son âge et son embonpoint. Exactement le contraire pour Savitskaïa 623 . Dieu nous préserve de lui dire qu’elle joue un rôle tragique. Au contraire, elle joue une Française joyeuse, pleine d’entrain, élégante, drôle. Le drame est dans le passé, maintenant tout est arrangé, elle est vivante et plaisante même gentiment le pasteur. Une ombre légère passe en elle à la fin du premier acte, mais au deuxième acte, elle est de nouveau gaie et pleine d’entrain jusqu’au moment où le fantôme du péché ancien lui apparaît. C’est là que commence le drame.

Ainsi, ceci est resté gravé dans mon esprit : Moskvine a un drame dans l’âme, Savitskaïa est calme, malgré un drame dans son passé.

31 janvier 1905.

Fabrication des maquettes.

Dans l’atelier de maquettes nous nous sommes réunis : moi, Simov, Koloupaev, Nemirovitch, Savitskaïa et Moskvine, Andreïev 624 (comme élève). Katchalov 625 et Suler 626 sont passés un court instant.

Nous avons regardé les matériaux rassemblés et avons établi pour le décorateur les points suivants : 1. L’incendie, l’orphelinat, les fjords, les glaciers doivent être visibles par tout le monde dans la salle. Le décor ne peut donc être trop bas, même si c’est souhaitable pour l’humeur [nastroenie]. 2. On doit sentir une journée grise et pluvieuse, les nuages bas, le bruit de la pluie qui tombe monotone, goutte après goutte. 3. Il faut absolument montrer à tout le théâtre la salle à manger. Il serait bon aussi de voir l’enfilade de pièces de la vieille maison. 4. La maison est très ancienne (il faut norvégiser la propriété d’Oncle Vania). Il ne faut pas montrer la vétusté et la tristesse de la maison avec des couleurs sombres (c’est banal et trop moyenâgeux), mais avec des couleurs claires. Le péché se cache dans tous les recoins. 5. Il faut un escalier qui va à l’étage. 6. On recommande les portraits des ancêtres. Accrochés en grande quantité, ils soulignent bien le côté ancien. 7. Les meubles sont recouverts de velours rouge usé. 8. Il faut bien voir le lever du soleil. 9. Principaux moments pour que les groupements fassent tableau (préparer les endroits) : le pasteur parle avec la femme qui a jadis été amoureuse de lui (coin confortable). La mort d’Osvald, le lever du soleil (final), la beuverie avant la mort. 10. Il faut une cheminée (caractéristique). Commander suffisamment à l’avance des essais pour l’incendie avec une lanterne magique et avec un autre moyen. Même chose pour la pluie et le lever du soleil.

Nous avons examiné et deviné par comparaison, et en reproduisant avec des dessins, les motifs préférés de la Norvège.

Nous avons relevé : 1. les escaliers qui montent à l’étage, dans le goût pour des niches et de la cheminée placées au-dessous. 2. Des rangées de fenêtres. 3. Des niches basses avec des divans (comme dans Ivan le Terrible, avec Boris, la scène avec les mages, non jouée). 4. Les tapis norvégiens, des nattes et des tables. 5. Les teintes des murs et des fenêtres sont jaunes et rouges (les portes sont rouges). 6. Forme particulière des plafonds. 7. Passages supérieurs avec arcs et balustrades. (On voit que les pièces supérieures sont basses). Ressaut particulier, semi-circulaire, pour les escaliers. (Ces ressauts donnent une certaine originalité et une naïveté des temps anciens que nous recherchons précisément par-dessus tout.)

J’ai feuilleté chaque tableau et j’ai reporté ce qui était original dans l’album en plan architectural. Simov a fait la même chose. Demain, nous comparerons tous les plans d’architecture. Peut-être trouverons-nous quelque chose d’intéressant ? Nous allons coller les maquettes. Pour le moment, je n’ai ressenti la vie que dans certains angles, mais nous ne voyons pas le tableau d’ensemble de la pièce, a fortiori les détails, c’est-à-dire la disposition des meubles et les positions des plantations de mise en scène. Je ne vois que quelques scènes sur l’escalier (conversation du bas vers le haut et encore, c’est pris à Tikhomirov), je vois encore la niche sous l’escalier, avec la cheminée.

Nous n’avons pas commencé à sentir la vie, le travail n’est donc pas encore bouillonnant.

En revenant à pied du théâtre, plusieurs idées me sont venues : 1. Est-ce qu’on sonne le tocsin pendant l’incendie ou bien est-ce le bateau à quai qui donne l’alarme ? 2. Il faut qu’un bateau passe et que la fumée s’étale comme cela arrive par temps de pluie. 3. Une équipe de pompiers volontaires. Peut-être. Osvald ou bien un domestique passe en courrant et met l’uniforme à la hâte. 4. Au loin, on entend le bruit de l’orphelinat qu’on finit de construire. 5. Il faut un portrait du père d’Osvald qui ressemble à Moskvine. 6. Le menuisier fait la première scène en continuant à travailler. On l’a fait venir pour réparer la porte.

1 er février 1905. Moi, Simov, Koloupaev, Andreïev.

Nous avons collé les maquettes. Aucune ne convient.

La première maquette de Simov : angle à droite avec l’escalier, arche au dessous et accès à la salle à manger, angle avec la verrière pour l’incendie. Ce n’est pas réussi. L’escalier sur lequel nous fondions tant d’espoir donne le ton d’une entrée, d’un vestibule. Néanmoins, l’angle à droite est encore correct pour son humeur, mais il n’y a aucun espace de jeu dans la plantation. Pas de recoins confortables pour la mort et les autres scènes intimes. Il n’y a pas non plus l’humeur générale d’une vieille maison de débauché.

Sa deuxième maquette avec des voûtes de boïars en longueur sur la moitié de l’avant-scène et une pièce carrée sur l’autre moitié rappelle trop les appartements des boïars et non la Norvège. On ne voit pas l’incendie, quoiqu’il y ait plusieurs endroits de jeu confortables dans la plantation.

La maquette de Koloupaev est surchargée, sans endroits de jeu dans la plantation, sans vue sur l’incendie. L’impression générale est celle d’une entrée.

Ma maquette est le plan modifié de la première maquette de Simov. Il y a des recoins pratiques, des endroits de jeu dans la plantation, on voit bien l’incendie, mais il y a peu d’indices de l’humeur générale.

La deuxième maquette de Koloupaev est plus pratique, mais inintéressante.

Andreïev a cherché comme il a pu, mais il n’a rien pu faire.

Ainsi, le résultat est nul.

Nemirovitch marchait et ne faisait rien.

Je lui ai dit que la première scène doit se passer ainsi : le père menuisier répare et rabote la porte (demain les travaux se terminent dans l’orphelinat, c’est pourquoi on a fait venir le menuisier pour des petits travaux domestiques avant qu’il ne parte). Il [Nemirovitch] a critiqué le fait que la fille ait une phrase qui dit : « Pourquoi es-tu venu ? »

J’ai rétorqué qu’il fallait rayer cette phrase parce que si le menuisier vient sans n’avoir rien à faire, toute la conversation entre eux sera théâtrale.

Pendant la fabrication des petites maquettes durant ce travail, nous parlons de questions fondamentales sur l’art et le décor au théâtre.

On est venu dire que Litovtsova 627 est malade et ne peut jouer demain dans La Cerisaie. On a envoyé le rôle à Germanova 628 . La pauvre, elle doit être éprouvée : jouer dans une pièce avec une seule répétition.

Nous avons échangé nos impressions sur Duncan.

La mère de Simov est en train de mourir, sa femme et son fils sont malades. Le théâtre n’attend pas, il est cruel.

Le soir j’ai assisté à une commission sur le théâtre populaire.

2 février 1905 On a fait rentrer Germanova dans La Cerisaie à la place de Litovtseva qui est tombée malade. La répétition m’a distrait de la maquette.

Simov, Koloupaev et Andreïev ont travaillé dans l’atelier de maquette. De nouveau aucune inspiration, aucune piste. On a fait, selon mes plans, une maquette très étroite, à seulement cinq archines 629 de l’avant-scène. Nous n’avons encore jamais eu une section de ce genre. C’est très pratique pour la mise en scène (et c’est un signe important que nous sommes près de la vérité). Néanmoins, nous n’avons pas pu saisir l’humeur. Nous avons commencé à être nerveux, et au fond de nous-mêmes, à avoir peur que tous les motifs soient épuisés, que toutes les lignes et les découpes aient été utilisées. Froideur dans l’âme. Les combinaisons incessantes, comme un cercle vicieux, nous font tourner au même endroit et l’on sent que l’on s’est emmêlé dans les combinaisons possibles de l’escalier, de la salle à manger et de l’incendie qui doit pouvoir être vu de partout. Peut-être est-ce un problème insoluble, mais il faut en outre trouver l’humeur de tout l’acte, c’est-à-dire la Norvège, l’archaïsme du bâtiment, le sentiment de la vie passée ici, dans le péché.

Combien encore de tourments et de recherches ! Selon le calcul des journées, demain est le dernier jour pour les maquettes d’essai, sans cela nous serons en retard pour la mise en scène [postanovka], durant la deuxième semaine du carême.

Nous avons décidé d’essayer demain de travailler sur ma dernière maquette.

C’est un état pénible que de voir partie par partie, de sentir l’atmosphère de cette pièce à la mode ancienne, avec une foule de choses laissées en héritage par les ancêtres et de ne pas pouvoir attraper par la queue ce qui s’est niché quelque part dans la tête. C’était le même tourment, je m’en souviens, pour le premier et le troisième acte de La Cerisaie. Il fallait créer ce que je n’avais jamais vu, mais ce que j’avais entendu et ce que je m’imaginais dans ma tête (une salle décorée comme un parc). Au premier acte, il fallait montrer la cerisaie pour qu’elle soit visible à tout le monde. Tant que le décor juste n’est pas trouvé, inutile de penser à la plantation. Le décor, c’est la moitié du travail. J’ai tout laissé et je suis parti parce que je sentais que mon inventivité était prise dans un cercle vicieux.

3 février 1905. Moi, Simov, Koloupaev et Andreïev avons travaillé de une heure à cinq heures et demie dans l’atelier de maquettes.

Simov est venu pour terminer la maquette sur le thème que je lui avais donné. Il a fait quelques modifications en fonction de sa sensibilité et de considérations personnelles. Par exemple, je sentais l’originalité de la maquette dans ses lignes droites (nous avons trop utilisé de lignes courbes), mais Simov a de nouveau brisé les lignes droites pour en faire des lignes courbes. Il s’est pris de passion pour le paysage et voulait que tout le théâtre le voit. La maison a pris la forme d’un L renversé. Pour pouvoir ouvrir vers le paysage, il a préféré pencher vers la droite la ligne perpendiculaire et elle a courbé tout le mur du fond. Le côté patriarcal et archaïque de la pièce a disparu. Ce n’est ni vraiment moderne ni vraiment ancien. Pour moi, j’ai continué à être dans le même état. Je vois, je devine cette pièce dans un domaine, à l’étranger (pas un château), plein de portraits et de diverses choses héritées des ancêtres, mais je ne parviens pas à voir et à formuler l’essence de son caractère.

C’est un état pénible de ne pas avoir la possibilité de s’exprimer et de deviner les pensées de l’autre. Cette fois, d’ailleurs, Simov et Koloupaev n’en avaient aucune idée. Ils se précipitaient dans un sens, puis dans l’autre, sans un terrain solide sous leurs pieds. Nous avons fini la maquette, nous nous sommes grattés la tête et nous avons compris que ça n’allait pas. Vladimir Ivanovitch qui a manqué nos recherches préliminaires est venu et bien sûr, il n’a pas pu saisir tout de suite le sens de nos recherches. Il a d’abord commencé par critiquer tout ce que nous avions fait et à répéter, par ses conseils, les erreurs dont nous venions de nous défaire. – Pourquoi avez-vous enlevé la cheminée et l’escalier ? Réponse : – Parce que la cheminée avec l’escalier disposé de profil ne donne pas d’endroits de jeu confortables pour la plantation, on ne peut la mettre en face parce qu’elle enlève trop d’espace au paysage etc., etc. Andreïev était encore plus agaçant. Il ne cessait de nous importuner avec des projets naïfs et vulgaires. Il fallait lui démontrer que deux et deux font quatre. Je me suis énervé. Je suis devenu cassant, grossier. Sans doute, à ce moment, le tempérament a joué sur l’imagination. Mes nerfs se sont aiguisés et j’ai réussi, quoiqu’à grand peine, à faire un dessin de toute la pièce avec la perspective. Je n’ai réussi à rendre que la disposition des fenêtres, des portes et des meubles, mais bien sûr je n’ai pas réussi à exprimer dans le dessin le caractère de la décoration [obstanovka]. J’ai ajouté dans mon dessin de nouveaux meubles dans les recoins vides, des tableaux, une horloge. Petit à petit, la pièce s’est remplie d’objets monstrueusement mal dessinés et a un peu laissé entrevoir l’humeur. On l’a ressentie, mais tout le monde a dit de façon unanime que l’agencement était trop russe. Je l’ai senti moi-même. Mais néanmoins, il répond aux exigences de la mise en scène et ce n’est pas rien. Nous avons commencé à voir comment donner un esprit norvégien. Il faut disposer les objets comme ils sont, mais les remplacer par des choses étrangères, caractéristiques, norvégiennes. Les panneaux doivent être de velours rouge ou de soie passés. Les fenêtres sont étrangères. Le poêle et la verrière doivent être norvégiens. Cela a plu à Simov qui a compris ce dessin, après des explications très détaillées, cela lui plaît d’autant plus que le dessin donne de l’espace pour l’air et le paysage. Il a dessiné une esquisse au crayon avec tous les détails, après avoir parlé de Duncan 630 et des caprices de Katchalova qui s’est vexée hier que son rôle dans La Cerisaie ait été donné à Germanova 631 . Elle veut, pour nous punir, renoncer à jouer le prochain spectacle de l’abonnement. Nous nous sommes séparés.

En revenant chez moi, j’ai commencé à sentir et à me représenter, dans ma chambre, différents moments de la pièce. Tout s’arrangeait magnifiquement, mais quand le soir, j’ai pris le livre et que j’ai commencé à lire les longs monologues sans aucun motif pour les déplacements et sans aucun jeu (au sens d’action) pour les acteurs, j’ai compris qu’il n’y aurait, ma foi, pas assez de lieux dans la plantation. J’ai de nouveau commencé mes croquis et ajouté de tels espaces en disposant différemment les meubles. Mais, en gros, tout s’arrangeait bien et arrivait à tenir dans le premier acte. J’ai commencé à planifier la première scène et je me suis tout de suite heurté à un obstacle inconfortable. Chez Ibsen le père-menuisier entre sans raison dans le salon et mène un dialogue en restant debout, sans rien faire. C’est du théâtre. Il faut changer cela. Voilà ce que j’ai inventé : depuis le début de l’acte, il est affairé à la réparation d’une serrure à la porte du jardin. A ce moment, passe un bateau dans la pause. Il commence à frapper, c’est en entendant ce bruit qu’accourt Régine. La scène continue alors ainsi : il travaille, elle fait le ménage. Tout devient vivant. Il faut néanmoins pour cela changer quelques mots de l’auteur au début et déplacer des phrases. Que faire ? A mon avis, renoncer à cela serait de la pédanterie.

4 février 1905.

Je suis arrivé tard au théâtre, vers deux heures. Simov et Koloupaev faisaient la maquette en haut, en suivant le dessin d’hier. Koloupaev collait. Simov dessinait l’esquisse. Nous avons examiné encore une fois le tout et fait des critiques. C’est bien que l’on voit beaucoup le paysage. L’étroitesse du décor construit est aussi originale (il est proche de la rampe). Il y a peu d’endroits pour les acteurs dans la plantation. Nous avons donc décidé de disposer autrement les meubles pour en remplir le centre de la scène. Nous avons décidé de faire une couchette carrelée près de la cheminée avec des oreillers. La courbure de cette couchette ira le long de l’avant-scène, parallèlement à la rampe. La verrière est bien et, du point de vue de la lumière, fera une tache sombre et bariolée dans la mesure où nous avons décidé que les verres seront de différentes couleurs (comme des fonds de bouteille). Comme détails originaux, nous avons décidé de mettre beaucoup de tableaux. Les moulures et le plafond devront être peints dans le goût norvégien : des rennes, des figures primitives, etc. Remplacer les panneaux ordinaires de bois avec des panneaux de velours ou de soie (vieux, rouge, passé). Peut-être avec une cloison de baguettes, peut-être tout simplement sur une surface lisse. Je me suis souvenu que les sols en Norvège ou en Suède étaient peints en blanc (nous avons aussi décidé d’introduire cela). Le balcon et la porte qui y accède se sont révélés indispensables pour la mise en scène . En parlant du balcon, nous avons trouvé un effet : ouvrir une trappe derrière le balcon, tapisser le balcon d’une bâche teinte et faire tomber de la vraie pluie. L’eau coulera sur la bâche vers le bas dans la trappe, le sol et la balustrade seront brillants d’être mouillés. Nous avons décidé de garder le même bateau que pour Les Soutiens de la société 632 dans la mesure où on le voyait assez mal.

Nous avons appris l’assassinat de Sergueï Alexandrovitch (le grand prince) 633 . Le travail s’est arrêté, nous nous sommes quittés. En bas, il y avait des pourparlers sur le théâtre avec Pliouchtchik-Pliouchtchevski 634 . On m’a retenu là-bas et l’on a discuté des rémunérations des acteurs pour la prochaine saison. Le soir, le spectacle a été annulé, en raison du deuil. Quel malheureux théâtre ! Il est soumis à une violence totale et à l’arbitraire. 2000 roubles de pertes. Le soir, nous nous sommes réunis à ce propos. Ensuite, nous sommes restés tard avec Nemirovitch et avons parlé de Krasovskaïa 635 . Que la troupe ne l’aimait pas, que je ne peux avoir une attitude simple à son égard, qu’avec le succès, elle deviendra une seconde Jeliaboujskaïa 636 .

J’ai ensuite essayé de répartir au crayon le premier acte à partir de la nouvelle maquette. Je vois l’humeur [nastroenie] générale de la première scène, c’est-à-dire que le menuisier travaille à la réparation de la porte et que sa fille range la pièce. Mais je ne sais pas quel est le rôle de Régine dans la maison. Est-elle une simple bonne ou une intendante ? De cela dépend le travail qu’il faut lui donner à faire : fait-elle du feu dans la cheminée, nettoie-t-elle la poussière ou bien ne fait-elle que veiller à l’ordre, tenant les comptes au bureau ou rangeant la bibliothèque ? Je sens l’humeur générale, mais je ne peux encore comprendre où se trouve chacun et ce qu’il fait, quelle scène se déroule autour de la réparation [de la serrure] et à quel moment laisser tomber la réparation, pour faire le changement de place ?

Aleksandrov 637 a déclaré aujourd’hui à Kaloujski 638 qu’il est déçu par le théâtre et demande de le laisser partir.

5 février 1905. Nous nous sommes réunis à deux heures, nous avons parlé du fait que le budget de l’année prochaine est trop important, qu’il faut le réduire ou réformer le théâtre pour en faire un simple cercle d’amateurs. Cela a duré jusqu’à trois heures. Je suis allé en haut 639 .

Simov s’était déjà sauvé. La maquette est à moitié collée et l’esquisse à moitié dessinée.

Quels fainéants. Ces peintres, quelle horreur !

D’après l’esquisse de Simov, il devient clair que même si l’on utilise les motifs de l’Art nouveau norvégien, les décors seront dans le même style.

Un vieux château de famille où se sont enracinés les vieux péchés et voilà, tout à coup, un nouveau style, c’est horrible ! Il faut réfléchir à la manière de vieillir tout cela. Trouver ce que j’ai dans la mémoire et qui me poursuit sans cesse, sans que j’arrive à le saisir.

Puis, il y a eu une discussion : Nemirovitch, moi, Moskvine, Savitskaïa et Andreïev (nous n’avons pas fait venir les autres acteurs, dans la mesure où la distribution des rôles n’est pas encore faite).

Nous avons d’abord parlé en général. Alving est jouée par Savitskaïa. Nous l’avons mise en garde, s’agissant du ton tragique. Il faut jouer une comédie française joyeuse jusqu’à la fin du second acte, au troisième acte, il faut même, au début, alléger la tragédie et la faire sentir vers la fin. Nous l’avons mis en garde aussi contre les larges costumes plissés qui ne vont pas à Savitskaïa et lui feront prendre des poses. Il faut au contraire chercher la simplicité et la vivacité. Il faut faire faire chez Lamanova, un costume cintré et avec une jupe large, pour paraître une aristocrate, une dame.

Moskvine a peur du rôle et d’être trop gros. Il voudrait avoir un prétexte pour rester assez longtemps en manteau. Cela lui donne une silhouette étrangère. Pour au moins tromper le public à sa première entrée. Nous avons attiré son attention sur le fait qu’il vient de Paris (ne faudrait-il pas l’habiller comme Soudbinine avec un béret, un imperméable et un large costume de velours ?). Il doit être tout entier comme du cristal. Sinon extérieurement, du moins son âme. Aucune pathologie. Il est timide et ne se fige que par moments en se mettant à réfléchir, mais il faut jouer cela avec beaucoup de douceur, sans rien souligner. Il observe souvent le portrait de son père. La scène la plus forte est la beuverie. Là, il se hâte de vivre à toute vitesse. Il faut que Moskvine et Savitskaïa se fassent photographier tous les deux avec des maquillages et des costumes de leurs jeunes années, photographier également Moskvine avec le grimage de son père, Alving. Moskvine se met à réfléchir de temps en temps et ressent les centres nerveux malades. Pour ne pas faire d’erreurs grossières (mais pas pour un effet de pathologie), parler à un médecin. Je voudrais que toute la mort et le rôle de Moskvine soient beaux, comme une jeune vie et touchants, comme un trépas prématuré. Nous avons beaucoup parlé de Régine, de sa position dans la maison, de ce qu’elle est : une intendante, une bonne, si on lui dit bonjour en lui serrant la main, si elle lave le sol. A partir du texte, on peut déduire qu’elle peut avoir les fonctions d’une bonne et qu’elle fait certaines choses que ferait une intendante. On ne lui serre pas la main. Si on lui demande de s’asseoir, elle ne se décide pas tout de suite. Régine, comme Osvald, ce sont aussi des fantômes. C’est pourquoi le rôle d’Osvald est secondaire, ce sont Alving et le pasteur qui mènent la pièce. Nous avons ressenti quelque chose de tragique dans le fait que les murs étaient couverts des portraits des ancêtres, certains sont même poudrés. La famille est de bonne noblesse et Osvald est le dernier, dégénéré, qui finit toute la lignée. Régine est un fantôme capable de vivre. Osvald en est incapable. Il a senti dans les glaciers un destin froid, sans limites.

Nemirovitch était aigri. Il caressait ses favoris, comme tout cet hiver. Il faisait des digressions sur des questions générales sur l’art et nous n’avons rien tiré d’autre de cette discussion.

6 février 1905. Simov n’était pas là. Kaloujski a ramené de chez Mme Take qui a longtemps vécu en Norvège différents objets (inintéressants, non scéniques) et des livres. Ils ont donné quelques idées sur la vie quotidienne [byt] et la disposition des intérieurs [obstanovka]. La journée a été perdue.

Le soir, j’ai écrit et j’ai commencé à vivre les premières scènes, j’ai ressenti le silence de la maison, l’humidité du jour, l’heure de la journée, quelques détails ont commencé à s’éclaircir et à apparaître en écrivant. J’ai écrit jusqu’à l’entrée d’Osvald. C’est beaucoup.

7 février 1905. On a convoqué les fainéants Simov et Koloupaev. Ce matin, ils ont fini l’esquisse (pas mal, mais trop Art nouveau) et la maquette complètement à l’état d’ébauche, sans couleurs. Nous avons disposé la scène, selon ses proportions. En fait, nous nous sommes trompés dans les mesures. Il faut déporter la cheminée, sans quoi elle cache la verrière. Il faut agrandir la verrière. Les fenêtres avaient l’air de portails, tant elles étaient larges. Le pan de mur pour le bureau est petit, et il est trop grand près de la salle à manger. L’escalier est petit et son style est comme dans Les Piliers de la société. D’une manière générale, il y a une ressemblance avec Les Piliers de la société. C’est pourquoi, nous avons décidé de tout faire pivoter. (C’est étrange que nous ayons toujours cette inclination à alourdir le côté droit et non le côté gauche). Bourdjalov 640 a proposé un escalier à vis. Cela m’a fait me souvenir que ces escaliers étaient caractéristiques du début du siècle dernier.

La disposition des meubles que j’avais prévue n’est pas bonne. Je l’ai changée car les deux tables se confondent. Ce n’était pas le cas sur le dessin, mais c’est ce qui s’avère dans la réalité. J’ai eu l’impression qu’en disposant les meubles complètement en parallèle, cela donnait du style. Il faut vérifier ce sentiment.

 Maintenant, j’ai compris que la verrière est un lieu pour le jeu dans la plantation, qu’on peut même jouer sur la terrasse, que le lieu principal pour le jeu dans la plantation est près de l’escalier, parallèlement à la rampe. J’ai repéré deux points qui ne demandent qu’à voir Osvald s’y arrête, plongé dans ses pensées : sur la couchette près de la cheminée (il faut sauter dessus) et près de la colonne (c’est-à-dire sous la colonne, exactement comme s’il était condamné et lié à un pilori.

Il s’est avéré au final que la pièce longue et étroite est originale, que quatre-cinq figures, jouant tout près de la rampe, donnent une impression de relief. On peut rendre tout cela confortable, pourvu simplement que l’on trouve l’archaïque.

6-12 février 1905. Durant deux jours, j’ai écrit la mise en scène. J’ai réfléchi longuement sur la première scène et j’ai esquissé les lieux [pour le jeu] dans leurs traits généraux. Il est difficile de commencer à écrire, mais quand je m’assois, je commence, sans le vouloir, à vivre et à sentir en écrivant. Il arrive que je veuille écrire, je me sens plein d’entrain, mais ça ne vient pas (surtout la journée). Une autre fois, je suis fatigué, une cousine vient déjeuner, elle me fatigue, mais je m’assois pour travailler et je fais tout un acte. 

Il y a dans cette pièce des scènes très longues et je n’arrive pas à saisir, sans me mettre à vivre à l’intérieur, où sont et quels sont les passages de l’âme. Si l’on connaît la pièce dans tous ces passages psychologiques et si l’on sent le coloris de chaque scène, prise en elle-même, il est alors facile de voir à travers toute la pièce, en avant, scène et après scène, et de vérifier, à l’avance, s’il y a assez de lieux pour le jeu dans la plantation et si tous ces lieux épuisent les humeurs que donne la pièce. Mais lorsque, comme c’est le cas cette fois-ci, l’on ne connaît pas bien la pièce et que l’on n’a pas le temps de bien la connaître, alors, prévoyant des surprises dans le futur, on a très à cœur de veiller sur les lieux pour le jeu. Il faut néanmoins que les caractères, sous leurs traits généraux, et les idées principales de l’auteur soient clairs. Ils joueront le rôle de bonne étoile qui éclaire le plan avec la bonne lumière. On tend vers cette idée finale et chaque petit détail, jusqu’aux effets sonores, doit venir de cette idée principale.

Nemirovitch a continué à paresser. Aucune discussion commune intéressante. J’ai écrit le premier acte tout seul. J’ai fini la pièce le 9 au soir. Nemirovitch n’a pas fixé de répétition pour le 10 en prenant prétexte qu’il allait voir ma plantation.

Le jour suivant il y a eu une discussion avec les acteurs. Nous avons analysé les traits caractéristiques des personnages, ils voulaient fouiller tous les détails à la Nemirovitch, mais je les ai arrêtés. L’acteur peut se contenter, dans un premier temps, des tons généraux du rôle, pour ainsi dire, de son coloris principal. Quand il aura trouvé et se sera fait au personnage [obraz], au caractère et à l’humeur, sous ses traits généraux, on peut alors compléter pour lui quelques particularités et détails. J’ai remarqué que quand Nemirovitch fait la mise en scène et fouille, dès le début, avec méticulosité, pour trouver jusqu’aux plus infimes détails, les acteurs s’embrouillent à l’intérieur d’un texte difficile et souvent alourdissent ou simplement dessinent dans le brouillard l’image du personnage [obraz] et ses sentiments les plus simples et les plus rectilignes [prjamolinejny]. 

Dans toutes les notes faites à Savitskaïa, nous somme partis du principe qu’elle devait rendre vigoureux le rôle, sans le dramatiser. Même là où le rôle est dramatique, nous avons cherché à le lui expliquer d’une autre façon, du côté de la vigueur, sachant que cette actrice ne pourra se passer du ton dramatique. De toute façon, il y en aura plus qu’il n’en faut. Au contraire, pour chaque passage comique nous avons rappelé à Katchalov, qui a une tendance à faire le comique, qu’il fallait rendre le comique avec finesse, avec le côté impeccable et la sincérité d’un vrai Français. Le pasteur est sincère, bon, naïf, comme un enfant, mais c’est quelqu’un d’étroit. Il est crédule et donc drôle dans son incompréhension des choses les plus ordinaires et les plus claires.

La discussion n’a rien donné de nouveau pour nous. Elle n’a fait que clarifier aux acteurs ce que les metteurs en scène avaient pensé.

Sur les coups de trois heures, nous sommes passés du foyer pour le thé où avait lieu la discussion à la scène. Le décor était en place, par l’ébauche des contours. Nous avons fouillé jusqu’aux moindres détails. Nemirovitch m’a demandé ce qui devait être disposé, où, comment, ce qui devait être fait.

Aujourd’hui, j’ai compris que l’escalier devait être construit avec des colonnes et une arche en bois (comme le bureau de Chostakovski à l’ex Société philharmonique). Nous nous sommes mis d’accord sur tout avec l’atelier de décors. Puis, nous sommes allés sur scène. Nemirovitch (qui a déjà pris connaissance de la mise en scène * de la pièce) a lu mes didascalies en même temps que les acteurs lisaient à haute voix leur rôle et notaient les déplacements et mes notes. J’étais assis sur le côté et je corrigeais ce qui n’était pas clair, c’est-à-dire que j’illustrais ma mise en scène * .

Aujourd’hui, j’ai compris que le divan près de l’escalier n’était pas un très bon espace de jeu dans la plantation alors que l’on peut trouver un bel espace dans la verrière. Cela donne de bons espaces de plantation pour le jeu dans l’embrasure des fenêtres. Il faut faire le plan des décors à l’échelle, sinon nous nous trompons dans les mesures et les distances. Nous n’avons passé que la première scène.

Aujourd’hui, le 12 à 12 heures, nous avons continué l’explication de la mise en scène * . De nouveau, Nemirovitch lisait [les indications], les acteurs lisaient leur rôle et notaient. Je suis arrivé en retard d’une heure. Stakhovitch est arrivé de l’étranger. La répétition est ensommeillée, tout se fait à voix basse, avec concentration. Ceux qui ne jouent pas dans la scène chuchotent dans le noir. Olga Leonardovna [ = Olga Knipper], par désoeuvrement, s’est installée ici même sur un canapé et lit un livre. Les élèves jettent un coup d’œil et s’en vont. Alexandrov, Andreïev, Lein 641 et Nemirovitch sont assis à l’avant-scène à leur table et inscrivent ce qu’il faut, chacun pour sa partie. Lein informe les acteurs de ce qui a été supprimé par la censure.

Katchalov qui, il y a peu, critiquait le rôle du pasteur et la pièce, m’a avoué aujourd’hui que le rôle lui plaisait.

23 février 1905.Durant la répétition d’aujourd’hui, j’ai surveillé la façon de marcher de Savitskaïa. Elle sait que c’est son point faible et elle a peur de sa façon de marcher. Dans les déplacements sur scène, elle ressent la même chose que quelqu’un qui n’a pas l’habitude de la foule et qui entre dans un salon rempli de monde. Si à ce moment, il pense au fait que beaucoup d’yeux le regardent, les quelques pans d’espace du salon lui semblent toute une verste. Ses jambes refusent de lui obéir, il ne peut plus marcher, il devient tendu et maladroit. On ne peut pas à la fois marcher et penser à sa façon de marcher. La démarche semblera, sans qu’on le veuille, drôle, maladroite et cette conscience emprisonnera toute liberté. Il faut penser au but final. C’est ce que j’ai montré à Savitskaïa. Elle marchait et pensait : maintenant je vais ouvrir le tiroir, maintenant je vais ouvrir le tiroir… et elle a très bien marché.

C’est un très bon exercice pour les élèves.

J’ai remarqué pour la première fois que V. I. Katchalov se dirige en mesure, selon les mots qu’il prononce. Je lui ai lié les bras, il a commencé à diriger avec ses doigts, j’ai éliminé aussi ce mouvement, il a commencé à faire le chef d’orchestre avec le tronc, puis la tête. Tant qu’il ne se défera pas de cela, il ne trouvera pas de véritable tempérament simple. En libérant ses mains et les autres mouvements involontaires, il ne manquera pas de tomber sur le nœud intérieur, d’où partira le véritable tempérament. En outre, pour remplacer les mouvements qui semblent intéressants pour le public, il aura recours à d’autres ruses, par exemple à des intonations intéressantes et qui viennent de la vie. 

Moskvine est entré avec tristesse, avec son fond russe. Ce n’est pas correct pour un étranger. Ils laissent leurs sentiments personnels chez eux et quand ils viennent chez les gens, ils cherchent à être convenables et conciliants, pas comme nous qui portons sans cesse et faisons des coquetteries de nos souffrances psychiques en exigeant de la compassion de tout le monde.

Moskvine peut se mettre à réfléchir de temps en temps, mais dès qu’on lui adresse la parole, il faut qu’il fasse de nouveau un sourire agréable et qu’il laisse de côté son drame intérieur.

En outre, lui et Katchalov se disputent entre eux en utilisant tout le fond russe. Cela donne le ton d’une opinion proférée avec précaution, comme chez nous, les Russes, où toute opinion personnelle est écrasée depuis des siècles. De plus, dans les discussions avec les autres, nous sommes intolérants et nous nous fâchons à la première contradiction. Ce n’est pas le cas des étrangers. Ils sont tolérants. Ils se disputent en exprimant directement leurs convictions qu’ils ne cachent pas et ils n’ont pas peur des critiques. Ils les écoutent librement parce qu’ils sont tolérants et tiennent compte de l’opinion d’autrui.

4 mars 1905. Aujourd’hui, j’ai fait une découverte sur Savitskaïa.

C’est une actrice en mineur, cela veut dire qu’il y a des actrices sur le mode majeur (par exemple Knipper 642 ). Savitskaïa est toujours étouffée, sa voix n’atteint jamais la hauteur d’un bémol. Il est facile pour elle d’être écrasée et il lui est difficile de découvrir ses sentiments. Elle peut être peureuse, mais il est difficile de rien lui prescrire. Knipper, c’est tout le contraire.

J’ai fait une petite leçon aux élèves 643 sur la façon d’utiliser les observations pendant les répétitions : 1. Suivre les discussions. 2. Définir le rôle qu’on joue pour soi 3. Prendre connaissance de la maquette et planifier sa propre mise en scène * . Bien sûr, elle sera banale. 4. Copier ma mise en scène * et réfléchir et vérifier sur soi-même par des questions pourquoi sa mise en scène * est moins bonne que la mienne. 5. Etre dans une atmosphère artistique. Que tout ce qui est dit se grave dans la mémoire inconsciemment et que l’œil et l’oreille s’habituent. 6. Bref, changer et orienter son goût.

J’ai conseillé à Katchalov de garder la tête et la mimique de Stockman et de donner à son buste le côté imposant de Jules César 644 . Cela le vieillira, sans la nécessité de faire le raisonneur et d’être comme un piquet.

Jusqu’à maintenant, il n’obtenait qu’un vieillard enfantin.

En fait, il faut jouer cette pièce avec un ton vif et un tempo rapide. Personne ne comprend cela. Tout le monde sait ce que c’est qu’un ton vif d’acteur : une voix vigoureuse, gutturale, une assurance désagréable, qui va jusqu’à l’insolence, un aplomb, une grande virtuosité dans les défauts de routine de l’acteur, ce que l’on appelle les traditions. En réalité, un ton vif signifie se mettre à vivre fortement et avec assurance dans l’image, une démonstration virtuose, par des touches justes et précises, des traits caractéristiques de la figure spirituelle et extérieure. En d’autres termes, un dessin du rôle clair, courageux et déterminé.

Les acteurs, les nôtres y compris, sous-entendent une voix forte et une diction rapide, c’est-à-dire ce qui précisément ralentit le tempo parce qu’il n’est plus intéressant d’écouter. Lorsque j’ai expliqué que le tempo, c’est avant tout le tempérament, une émotion éprouvée intense de la vie de toutes les sensations humaines possibles, sensations revigorantes, qui attirent à soi l’attention du public. Ils ont commencé alors à glisser facilement sur le rôle avec un petit tempérament, c’est-à-dire à lire rapidement le rôle avec un tempérament léger.

Ce n’est pas cela.

Le tempo, c’est l’art de jongler facilement avec le tempérament le plus fort. Passer rapidement et facilement d’un extrême à l’autre, dans l’humeur et dans des émotions éprouvées intenses. Une telle attitude directe et sincère envers le rôle donne de la vigueur au spectateur, oblige à croire et à éprouver le rôle avec l’acteur.

Notes
616.

Traduit d’après le texte paru dans Stanislavski, 1988-1999, V, vol. 2, pp. 239-253, publié une première fois in Stanislavski, 1954-1961, V, p. 258-272.

617.

Stanislavski désigne par plusieurs titres la pièce d’Ibsen Les Revenants. (N.d.T.)

618.

Peintre-décorateur, assistant de Simov pour cette mise en scène. (N.d.T.)

619.

Pièce de Tchirikov, mise en scène par Loujski et Stanislavski, la première eut lieu le 28 janvier 1905. (N.d.T.)

620.

Franz Shekhtel (1859-1926) architecte du nouveau bâtiment du Théâtre d’Art en 1902, principal architecte de l’Art nouveau russe. (N.d.T.)

621.

Nemirovitch-Dantchenko. (N.d.T.)

622.

Ivan Moskvine (1874-1946), l’un des principaux acteurs du Théâtre d’Art depuis son premier spectacle Le Tsar Fedor où il tenait le rôle titre. (N.d.T.)

623.

Margarita Savitskaïa (1868-1911), actrice du Théâtre d’Art, elle fut l’interprète d’Olga dans Les Trois Sœurs. (N.d.T.)

624.

Technicien des lumières du Théâtre d’Art. (N.d.T.)

625.

Vassili Katchalov, l’un des plus grands acteurs du Théâtre avec Moskvine (1875-1948) à partir de son interprétation du rôle du Tsar Berendeï dans La Fille des Neiges d’Ostrovski en 1900. (N.d.T.)

626.

Leopold Soulerjitski dit Suler (1872-1916), assistant de Stanislavski pour plusieurs mises en scène, notamment L’Oiseau bleu et l’Hamlet de Craig, principal animateur du Premier Studio. (N.d.T.)

627.

Nina Litovtseva (1871-1956), actrice et metteur en scène du Théâtre d’Art, marié à l’acteur Katchalov. Elle était l’interprète de Varia dans La Cerisaie. (N.d.T.)

628.

Maria Germanova (1884-1940), actrice du Théâtre d’Art. (N.d.T.)

629.

environ 3,5 m. (N.d.T.)

.

en français dans le texte.

.

en français dans le texte.

.

en français dans le texte.

630.

Stanislavski voit pour la première fois les spectacles d’Isadora Duncan le 24 janvier 1905, il est enthousiasmé et assiste à tous ses récitals. (N.d.T.)

631.

Cf. note 32.

.

en français dans le texte.

632.

Mise en scène de Nemirovitch-Dantchenko, datée de 1903. (N.d.T.)

633.

Gouverneur de la ville de Moscou. (N.d.T.)

634.

Il s’agit de discussions au sujet d’une tournée à Saint-Pétersbourg. (N.d.T.)

635.

Il s’agit toujours de l’actrice Germanova. (N.d.T.)

636.

L’actrice Andreïeva, femme de Gorki, fut la cause d’un conflit virulent entre l’écrivain et le Théâtre d’Art. (N.d.T.)

637.

Acteur de la Société d’Art et de littérature et du Théâtre d’Art où il restera jusqu’à sa mort en 1930. (N.d.T.)

638.

Acteur et metteur en scène du Théâtre d’Art, plus connu sous le nom de Loujski.

639.

i. e. en salle des maquettes. (N.d.T.)

640.

Acteur et metteur en scène du Théâtre d’Art. (N.d.T.)

*.

en français dans le texte.

*.

en français dans le texte.

*.

en français dans le texte.

641.

Le souffleur. (N.d.T.)

642.

Olga Knipper, actrice du Théâtre d’Art, femme d’Anton Tchekhov, interprète notamment de Ranevskaïa dans La Cerisaie et partenaire régulière de Stanislavski. (N.d.T.)

643.

Durant ces années, les élèves de l’école du Théâtre d’Art assistaient aux répétitions, ce qui faisait l’essentiel de leur formation.

*.

en français dans le texte.

*.

en français dans le texte.

*.

en français dans le texte.

644.

Katchalov interprétait Jules César dans la pièce de Shakespeare, mise en scène par Nemirovitch-Dantchenko en 1903. Stanislavski était l’interprète du docteur Stockman dans la pièce d’Ibsen jouée à partir de 1900.