2. La guerre économique comme objet d’étude

Comme action de violence collective, la guerre s’oppose fondamentalement à la médiation : l’autre devient l’ennemi que l’on doit anéantir. La violence est utilisée à la place du dialogue auquel se substituent le silence des morts et le bruit des armes.

En termes de représentation, la guerre implique au moins trois types d’impasses :

- La difficulté de représenter le silence de la guerre

- L’existence de trois dimensions de la guerre – la dimension réelle des actions sur le terrain, la dimension symbolique de représentations et la dimension imaginaire des fantasmes et des peurs qu’elle suscite – et des points de rupture. La violence accompagnée par le silence, le « brouillard », est le point de séparation définitive entre le vide de la guerre et sa représentation.

- Les stratégies de communication pratiquées en temps de guerre – l’information stratégique, la propagande, la manipulation – limitent sa visibilité ; la guerre se trouve, en quelque sorte, symboliquement enfermée dans les pratiques de communication et de représentation mises en œuvre dans l’espace public par les médias.

Cependant, la guerre est chargée d’une forte dimension symbolique et, à partir de cette dimension elle peut faire l’objet d’un transfère dans d’autres champs : social, économique, sportif. Ce sont précisément l’étude de la guerre en tant que paradigme, son statut de valeur-cadre et de système de significations les dimensions qui confèrent à la guerre une place importante dans le cadre des Sciences de l’Information et de la Communication.

‘« Parmi les tâches fondamentales de la recherche, nous voyons dans l’analyse des systèmes signifiants, par des voies sémiotiques, non le moyen de s’enfermer dans des messages coupés de la réalité profonde, sociale, symbolique, mais l’expression d’une lucidité pour distinguer la production de ces systèmes et leur attache à la réalité. Ce par quoi certaines formes de représentation prennent un caractère signifiant. Ce par quoi aussi l’aptitude à les saisir comme modèles construits de signification les détache du réel diffus et les fonde en réalité pour le sujet. A charge pour nous de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans ces systèmes signifiants et leurs formes de communication » », montre Jean-Jacques Boutaud, en expliquant l’articulation entre sémiotique et communication 2 .’

Dans ce contexte, l’étude de la guerre se propose de mettre en évidence les significations des faits qui peuvent être interprétés comme appartenant à un domaine d’activité (militaire, économique), une sémiotique de l’événement 3 et des représentations de l’événement dans les discours des médias. En étudiant la figure de la guerre dans le discours économique nous pensons pouvoir mettre en évidence le caractère particulier des représentations de la guerre dans le récit médiaté.

Ainsi, nous pensons que la notion de guerre économique implique :

  1. Une mise en scène particulière du paradigme de la guerre dans le discours des médias par l’utilisation d’une narrativité spécifique guerrière  dans le domaine économique 
  2. Une nouvelle visibilitédes faits et des acteurs de la guerre économique, ainsi qu’une nouvelle approche de l’importance de la place de l’économie dans l’espace public
  3. Une représentation particulière de la violence économique et l’importance particulière accordée aux notions de risque, menace et insécurité économique.
  4. Un rôle particulier de l’information dans la guerre économique, notamment exprimé dans le cadre des théories de l’asymétrie de l’information et des pratiques liées à l’information économique
  5. L’essor et la diversification des types de stratégies de communication mises en pratique par les institutions économiques

La guerre interroge, de manière radicale, le sens même de l’événement. Les interrogations sur le sens et les représentations du monde, du temps et de l’espace, les représentations identitaires et de stratégies d’acteurs et de leurs actions, les divers facettes du politique, font de la guerre un sorte de méta-événement. Il nous semble d’ailleurs que c’est justement cette particularité de la guerre d’être un objet extrêmement riche d’interrogation et d’interprétation qui fait qu’elle représente un préférence évidente des les médias.

En tant qu’événement réel, la guerre fait apparaître le réel du politique et de ses institutions et représente un moment originaire pour le contrat social fondateur de la sociabilité. En tant que représentation, la guerre fonde les identités, les appartenances et les engagements, dans une relation particulière entre la vie individuelle, l’histoire et la vie politique.

Notes
2.

BOUTAUD, Jean-Jacques – Sémiotique et communication Du signe au sens, L’Harmattan, coll. Champs visuels, Paris, 1998, p.58

3.

Voir dans ce sens LAMIZET Bernard – Sémiotique de l’événement, Hermes/Lavoisier, coll. Forme et sens, Paris, 2006, plus particulièrement le chapitre 12, « La guerre et la perte de sens », p. 235-253