1. La guerre

Les définitions les plus utilisées de la guerre mettent principalement l’accent sur les rapports d’opposition entre les acteurs. Il s’agit d’un affrontement violent, ce qui sépare la guerre d’autres formes de conflit. Pour Clausewitz, le duel représente l’essence de la guerre :

‘« La guerre n’est rien d’autre qu’un duel à une plus vaste échelle. Si nous voulons saisir en une seule conception les innombrables duels particuliers dont elle se compose, nous ferions bien de penser à deux lutteurs.» 14

Nous retenons également ici l’existence obligatoire d’une représentation de la volonté de guerre qui correspond à une volonté politique préliminaire à toute acte de violence collective. La guerre a un but politique :

‘« La guerre est donc un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté» 15

souligne sans hésiter Clausewitz, et à nous de penser que toute stratégie à dimension politique qui implique la violence peut être définie comme une forme de guerre.

La guerre oppose ainsi à l’individualité du duel classique entre acteurs identifiables le caractère collectif des actions guerrières : tant au niveau de la volonté politique – qui se définit comme celle d’une nation -, qu’au niveau de la violence mise en place.

Parmi les définitions possibles de la guerre nous avons privilégié celle que donne Armelle Le Bras-Chopard : elle nous semble la plus complète, et met en évidence les éléments majeurs de cette activité humaine complexe. Pour cet auteur, la guerre implique nécessairement la notion d’Etat et de son adversaire, celle de l’armée et celle d’un cadre réglementaire :

‘« un conflit entre Etats souverains dont le but vise à obtenir par la force la soumission de l’adversaire, conflit qui met en jeu des forces organisées militairement et qui est soumis à certaines règles du début à la fin des hostilités » 16 . ’

Sujet complexe, l’étude de la guerre s’inscrit souvent dans une vision plus générale de l’auteur. Dans une approche diachronique, l’histoire de la guerre se présente le plus souvent comme une histoire des différentes guerres successives ou – comme le fait A. Le Bras-Chopard – des doctrines concernant la guerre.

Une série d’auteurs – plus récemment de politologues américaines des années 80 – représentent la guerre comme fondatrice pour l’évolution globale de l’humanité. La thèse centrale de l’ouvrage de J. Keegan 17 , par exemple, relie la guerre aux étapes importantes de l’évolution humaine : les différentes âges de l’humanité – pierre, métal, feu – correspondent à des types d’armement qui définissent dans le temps des types de guerres. Le pouvoir des groupements humains est – pour cet auteur – en fonction de la maîtrise de nouvelles armes qui vont influencer la nature même des rapports de sociabilité.

Les trois « vagues » évoqués par A. Toffler 18 sont des étapes de développement dans l’histoire des sociétés définies dans un même temps par l’économie et par la guerre, car « notre manière de faire la guerre est à l’image de notre manière de créer les richesses. »

A. Corvisier 19 réalise une impressionnante histoire militaire qui met en évidence le rôle de l’armée dans l’évolution historique de la France et également l’importance sociale globale de l’institution militaire.

Notre analyse porte sur quelques uns des éléments et les processus qui fondent généralement les représentations de la guerre. Il s’agit donc de poser les premiers repères définitoires, le pensons nous, pour la construction du paradigme de la guerre. Nous rappelons ici que, selon nos hypothèses, ces éléments constituent les points qui assurent la transposition de la guerre dans le paradigme de la guerre économique.

Ainsi, le questionnement sur nature légitime de la violence guerrière et l’instrumentalisation de la violence  sur nous aidera à définir la notion de violence économique ; les rapports entre Etat, guerre et l’institution militaire serviront de modèle pour les rapports entre l’Etat et l’entreprise ; la stratégie militaire rapproche la guerre et l’économie en termes de pratiques des acteurs ; un rappel des notions de censure et propagande vont servir de base pour comprendre le statut de l’information dans la guerre économique.

Notes
14.

CLAUSEWITZ, Carl von – De la guerre, tr. fr. par Laurent Murawic, Librairie Académique Perrin, Paris, 1999, p. 31

15.

Idem

16.

 LE BRAS-CHOPARD, Armelle - La guerre. Théories et idéologies, Montchrestien, Paris, coll. Clefs/Politique, 1994, p. 10

17.

 KEEGAN, John – Histoire de la guerre, Dagorno, Paris, 1998

18.

Dans La troisième vague Alvin Toffler identifie, à partir d’une analyse économique, trois étapes d’évolution : « la vague agraire », « la vague industrielle » et « la vague du savoir »

19.

CORVISIER, André – Histoire militaire de la France, Presses Universitaires de France, coll. Quadrige, 1997