Dans sa dimension de violence collective et dans sa dimension politique, la guerre prend la forme de la violence légitime, caractéristique, comme l’on sait depuis M. Weber, de l’exercice institutionnel du pouvoir. L’Etat – nous dit Max Weber – est l’unique acteur à mettre en place la violence collective.
‘« Il faut concevoir l’Etat contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé, […] revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. » 41 ’La guerre fait apparaître le réel de l’Etat et du politique qui réalisent à cette occasion des mises en scène de la puissance dont ils disposent et qu’ils veulent mettre en acte. La guerre est un processus d’acquisition et d’exposition de la consistance effective de la puissance. Pour l’Etat qui la livre, la guerre – sorte de spécularité historique de la violence et de la confrontation – représente un moment originaire, structurant. La guerre est un événement qui fonde l’Etat qui la met en œuvre ou, en tous les cas, qui restructure, qui reconfigure, les relations et les identités politiques constitutives de cet Etat. La guerre, en tant qu’événement réel, représente un moment originaire pour le contrat social fondateur de la sociabilité.
P. Clastres 42 entend montrer que la guerre primitive entre des groupes rivaux assume une fonction précise qui renforcerait directement la cohésion interne du groupe. Le contrôle de la violence et la ritualisation des actions guerrières peuvent en effet contribuer à la solidarité et à la cohésion interne. La guerre ne provoque pas le morcellement des groupes, affirme Clastres, mais maintient l’identité des groupes et nous aide à comprendre les enjeux en termes d’identité et de pouvoir que la maîtrise de la guerre engendre.
N. Offenstadt 43 affirme que la quête de la paix – en rapport avec les activités dirigées vers une canalisation de la violence primaire afin de la limiter et de la réglementer – est initialement d’essence religieuse. La paix comme fille de Dieu pose cependant le problème du modèle, de l’harmonie divine retrouvée sur terre opposée au désordre et à la violence. Pour Saint Augustin il y a besoin d’une guerre juste définie comme la guerre qui arrive à instaurer la paix et l’ordre selon le modèle de Dieu. On peut croire que l’Etat reprend de l’Eglise d’idée de la paix comme ordre social, comme facteur de progrès, cette fois-ci l’apanage des institutions étatiques et non pas des canons moraux. Le jus ad bellum et le jus in bellum imposent à la fois le droit de faire la guerre – réservé uniquement aux Etats – et les règles qui vont conduire les actions guerrières. Seule l’autorité légale peut autoriser le conflit et l’utilisation de la violence collective.
C’est uniquement à partir du 16e siècle que la guerre commence à faire l’objet d’une réelle réflexion philosophique. Dès le départ, cette double dimension de la guerre – stratégie de puissance et stratégie de violence– va dénaturer le discours sur la guerre. Comme le précise A. Le Bras-Chopard, il y a une contradiction majeure dans le fait que la guerre soit à la fois liée à l’affirmation de la souveraineté et de la puissance de l’Etat et contestée moralement dans son principe d’utilisation de la violence. Nous considérons que cette contradiction initiale reste fondamentale pour la compréhension de la guerre et pour la dualité morale qu’elle engendre. Ce partage moral a influencé pendant des siècles et influence encore aujourd’hui les diverses représentations successives de la guerre.
WEBER, Max – Le Savant et le Politique, trad. J. Freund, UGE, coll. 10/18, Paris, 1963, p. 101
CLASTRES, Pierre – « Archéologie de la violence : la guerre dans les sociétés primitives » et « Malheur du guerrier sauvage », dans Recherches d’anthropologie politique, Editions du Seuil, Paris, 1980
Voir sur ce sujet OFFENSTDADT, Nicolas – Paix de Dieu et paix des hommes : l’action politique à la fin du Moyen Âge, in Politix, vol. 15, n° 58, 2002