1.2.2. Le rôle social de l’armée

L’armée 50 est souvent définie selon sa dimension sociale. Elle gère l’organisation de la violence collective en assurant la mobilisation des recrues, la formation à la guerre et la gestion des réservistes. Mais l’existence de l’armée nécessite également une législation spécifique, une organisation particulière de l’économie et de la logistique. En liant étroitement le fonctionnement de l’armée à la dimension nationale, l’historien R. Mousnier nous présente la guerre comme facteur de progrès :

‘« L’armée, et la nécessité de mobiliser des hommes, de les encadrer, de leur fournir des vivres ou de leur permettre de se les procurer, de les obliger à s’armer, ou de leur fournir les armes, de prévoir des plans de campagne et de mener les troupes au combat, les nécessités de la logistique, de la stratégie, de la tactique, ont été, à toutes les époques, une source du développement des sociétés humaines, de la forme politique de ces sociétés, de la naissance, très tôt, des Etats, du perfectionnement de l’Etat, et des institutions, de la pensée juridique, philosophique et morale. L’Etat a existé dès la préhistoire. Lorsque les hommes ont pris conscience de l’existence de l’Etat, il existait et fonctionnait déjà depuis bien longtemps. Toute une partie très importante des civilisations humaines a dû son développement à la guerre. Techniques pour l’armement, les fortifications, les communications, la chirurgie, la médecine, l’administration, le droit international et national, la réflexion morale et religieuse, etc., tout cela a progressé pour la guerre ou en raison de la guerre ». 51

Il est intéressant de remarquer que l’auteur semble ne pas faire ici une distinction entre guerre et institution militaire, observation qui impose un questionnement sur les missions de l’armée.

Pour le législateur français, assurer la défense de la France, participer à la sécurité des Français, structurent le ministère de la défense autour des activités militaires ; il s’agit de s’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, l’intégrité et la sécurité du territoire ainsi que la vie des populations. Ce rajoute à cela la mission de « perpétuer la mémoire du monde combattant » 52 . De plus, comme le précisait récemment le Ministère français de la défense 53 , les forces armées participent également à la politique étrangère (principalement par les missions à l’étranger et par la participation dans le cadre des organismes de défense européens ou internationaux), à la sécurité intérieure (il s’agit en premier lieu de l’activité des unités de gendarmes), à la sécurité civile, à la santé publique (par les institutions de santé et de recherche gérées par l’armée et par des interventions ponctuelles en cas de risque sanitaire), à la protection de l’environnement.

Pour remplir ces missions – fonctions militaires et contribution « aux autres politiques publiques » - le ministère est organisé autour de sept domaines d’activité : l’environnement et la prospective de la politique de défense, la préparation des forces armées, l’emploi des forces armées, le soutien administratif central, la préparation et la conduite de programmes d’armement, le lien entre la nation et son armée, la mémoire, la reconnaissance et la réparation en faveur du monde combattant.

Ce qui nous semble intéressant aujourd’hui c’est le degré important d’intégration sociale de l’institution militaire, tendance qui semble s’accentuer avec les novelles propositions politiques concernant le rôle que l’armée peut jouer dans l’insertion sociale Le remplacement du service national par différentes formes d’obligations sociales est dans ce sens considéré comme un nouvelle redéfinition de la mission nationale de l’armée française. Finalement, on observe ici une extinction de la notion même de sécurité nationale définie comme objet principal de l’institution militaire.

Notre hypothèse est qu’une réflexion en termes de guerre économique peut traduire cette ambiguïté dans le domaine économique et mettre en évidence entre le politique et l’entreprise des rapports potentiellement conflictuels comme ceux qui opposent le politique et l’armée. Le partage du pouvoir entre politique, militaire et économique impose des rapports complexes entre les acteurs qui interviennent dans ces domaines. Ces rapports sont en même temps des rapports de subordination et de concurrence. Généralement la faiblesse de l’un de ces éléments peut paraître l’occasion de montée en puissance de l’un des deux autres composants. Pourtant la guerre reste le seul contexte dans lequel il y ait ouvertement une délégation du pouvoir politique vers l’armée et, de la même manière, nous pouvons dire qu’une crise économique ou une situation de guerre économique va imposer l’entreprise comme concurrent important du politique, voire comme un lieu du pouvoir.

Notes
50.

La première forme d’armée régulière en France date de 1445, quand Charles VII crée les Compagnies d’ordonnance

51.

MOUSNIER Roland – Préface, dans CORVISIER A, Histoire militaire de la France, Presses Universitaires de France, Paris, 1992, p. VI

52.

Article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense.

53.

Dans le document « Stratégie ministérielle de réforme », réalisé en 2004 et inscrit dans le processus global de professionnalisation de l’armée française.