1.3.1. Identité et engagement en temps de guerre

La guerre implique l’engagement des belligérants qui exprime leur identité politique. La conscience nationale est forcée de passer par une forme extrême d’engagement qui présuppose le statut de soldat. Dans un même temps, l’identité collective qui sera précisée et définie pendant la guerre peut constituer – notamment dans le cas des guerres civiles - un objectif de celle-ci en termes d’affirmation identitaire.

Pendant les conflits yougoslaves, une des préoccupations majeures des différents pays issus du démantèlement de l’ancienne structure étatique fédérale reste la reconnaissance de leur identité nationale. Il s’agit en même temps d’une reconnaissance internationale de droit et d’une reconnaissance dans l’espace public international. Ce processus passe par deux niveaux d’actions : d’un côté les actions politiques et les négociations entre les Etats et organisations internationales habilitées à accorder cette reconnaissance et de l’autre par des formes symboliques d’affirmation identitaire.

Un exemple significatif nous semble celui de la dénomination et de l’utilisation de la langue dans les différentes républiques de la Fédération yougoslave avant et après le début des conflits. Officiellement, avant le début des années 90, les Bosniaques, les Serbes, les Monténégrins et les Croates parlent tous le serbo-croate, considéré comme une seule langue avec des variantes régionales. Peu après le début du conflit, les peuples de différentes républiques, décidés de ne plus vivre dans un même Etat, souhaitent également proclamer l’identité unique de leur langue : ils décident de ne plus utiliser les « mauvaises » régionalismes (la langue des autres). Chaque partie précise qu’elle parle la « vraie langue » que les autorités imposent dans les médias, dans les écoles et utilisent dans les discours publics. On publie des dictionnaires 58 , on utilise des traducteurs pour les discussions officielles, on invente des mots. J. Leclerc 59 parle d’une « purification linguistique », de l’idéologie guerrière et du « nationalisme qui gagnent la langue ».

Dans la même période les autorités serbes décident que l’affirmation de la différence par rapport aux croates passera également par le retour à l’utilisation officielle de l’alphabet cyrillique 60 , pourtant en grande partie abandonné dans les années 70 en faveur de l’alphabet latin considéré comme plus « moderne ».

L’affirmation dans la presse locale et internationale de cette nouvelle identité collective encore provisoire, a évidement une importance extrême pour les parties concernées. Le terme même de « guerre » est inscrit dans la même logique d’affirmation identitaire nationale, des entités nationalement reconnues semblant avoir seules le droit de mener une guerre.

‘« Ce qui fonde la guerre – précise B. Lamizet 61 - ce n’est pas tant l’antagonisme des positions de deux acteurs sociaux ou de deux acteurs historiques, que la revendication, par l’un et par l’autre, d’une identité politique fondée sur l’opposition symbolique à l’autre »’

Si l’identité se pense en termes de sociabilité, la guerre représente une crise majeure de celle-ci. En temps de guerre, la reconstruction de l’identité s’articule d’un côté avec la solidarité à l’intérieur de « notre camp » et par l’affrontement et la rupture de lien avec l’autre.

Notes
58.

Voir notamment dans ce sens le Dictionnaire différentiel des langues serbe et croate, Zagreb, 1998

59.

LECLERC, Jacques – « Une idéologie linguistique », dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 20 mars 2006 ; www.tlfq.ulaval.ca/axl/europe/serbo-croate.html

60.

Les différences d’écriture résultent en grande partie de l’héritage catholique croate qui a favorisé l’alphabet latin, à la différence de l’héritage orthodoxe serbe qui a favorisé l’alphabet cyrillique.

61.

LAMIZET, Bernard – Politique et Identité, Presses Universitaires de Lyon, 2002, p. 240