1.4. La censure et la propagande : formes de silence dans l’espace public

La forme la plus visible du manque de médiation en temps de guerre reste la censure . L’uniformisation de l’information en temps de guerre et la suspension du rôle des médias dans l’espace public prennent plusieurs formes qui marquent la singularité des pratiques de médiation dans ce type de circonstances. Dans la mesure où la situation de guerre se caractérise par la construction d’une forme particulière d’identité, fondée sur l’opposition à l’autre, elle présuppose la construction d’une identité univoque : en situation de guerre les acteurs de la communication se trouvent, en quelque sorte, précipités dans une logique particulière d’expression de leur identité, qui repose sur la suspension des représentation et de mise en scène de l’événement dans une idéologie du consensus.

La censure impose institutionnellement l’univocité des représentations de l’événement à destination des acteurs de la sociabilité. Les faits de censure en situation de guerre correspondent à une forme de refoulement politique des informations, en vue de fonder une opinion univoque dans l’ensemble de l’espace public sur ces informations rendues monologiques par l’uniformisation du discours.

Cette uniformisation se réalise par deux types de mesures : d’un côté l’interdiction à la population en guerre d’avoir accès à des médias étrangers – cette interdiction passe par des stratégies techniques et par des mesures de coercition – de l’autre l’interdiction d’accès des journalistes ou d’autres membres des organisations internationales aux territoires de la guerre. La censure suppose la disparition de l’espace public et un cloisonnement parfait des espaces de communication qui assurent ainsi un meilleur contrôle sur l’information et facilite le discours politique mobilisateur.

L’événement fait l’objet d’une véritable construction idéologique dans les pays en guerre, et cette construction idéologique est soumise à l’hégémonie des acteurs au pouvoir. La dénégation de l’autre prend ici la forme d’un rejet a priori, d’une condamnation a priori, et d’une adhésion par conséquent également a priori aux logiques des dirigeants de leur pays. L’idéologie de la guerre implique des stratégies de communication qui consistent à produire une représentation de l’événement qui ne soit pas objective, distancée par l’écart symbolique au réel de l’événement, mais qui, au contraire, s’inscrit dans les logiques idéologiques et partisanes de l’un des acteurs de la guerre contre l’autre. La censure et la propagande remplacent les médiations dans l’espace public et transforment les discours en « armes » de guerre.

Jean-Noël Jeanneney 63 propose deux définitions : la censure est « l’action de l’Etat se protégeant contre les vérités qu’éventuellement charrient les journaux », c’est donc « la façon autorisée de parler de la guerre » ; la propagande est « l’action offensive cherchant à toucher les esprits et les cœurs, au-dedans et au-dehors ».

Si la censure met en question le rapport entre le droit à la vérité (liberté de la presse) et stratégies de forces physiques de l’Etat guerrier, la propagande est une stratégie visant l’entretient de la composante morale des combattants.

Notes
63.

JEANNENEY, Jean-Noël – Une histoire des médias, Editions du Seuil, Paris, 1996, p. 53