2. L’économie

Le fait de nous intéresser à l’idée de rationalité économique dans le contexte de cette thèse part du même questionnement concernant les rapports entre guerre et économie comme actions humaines complexes. La notion de « guerre économique » semble unifier le paradigme de la guerre, celui de l’économie, la violence et le politique dans une rationalité commune, comme mode commun d’intelligibilité. C’est dans ce sens que nous nous interrogeons ici sur les concepts et les idées qui structurent le domaine économique.

Il nous semble significatif que, face à une problématique concernant le respect de la neutralité axiologique, Max Weber donne un réponse d’ordre méthodologique en introduisant le concept d’ ideal-type 88 afin de comprendre l’activité sociale et d’en faire un « tableau homogène ». A noter que la démarche weberienne – qui fait de lui un indiscutable précurseur de l’individualisme méthodologique – propose de partir de l’infiniment petit pour arriver au macro-social : par agrégations successives, il faut passer de l’individualité sociale aux institutions humaines, ce que nous – avec Bernard Lamizet – désignons par le concept de médiation.

En effet, nous dit M. Weber, l’intérêt de partir de l’individu dans l’étude sociologique réside dans le fait que le comportement humain est une donnée scientifiquement compréhensible du moment que l’on introduit des degrés de rationalité. Deux idéaux-types sont ainsi à considérer.

Priorité, nous affirme Max Weber, doit être donnée au « comportement rationnel en finalité » 89 , c’est-à-dire à ce type de motivation qui pousse l’individu à agir de telle manière qu’il puisse atteindre l’objectif qu’il s’est assigné. C’est là une rationalité par objectifs, ou encore téléologique, qui fait « séparer le ménage de l’entreprise », qui pousse les acteurs économiques à créer une comptabilité rationnelle. C’est aussi sur elle que repose le processus de rationalisation de l’économie capitaliste. Cependant, les comportements peuvent être « rationnels en valeur » lorsque l’individu est lié à sa conviction, « commandée par le devoir, la dignité, la beauté, les directives religieuses, la piété ou la grandeur d’une cause » 90 . C’est ainsi que les hommes peuvent obéir, sans forcément en avoir conscience, au système de valeurs d’une société donnée. Selon S. Freud, ils obéissent même d’autant mieux que l’idéal-type weberien fait l’objet d’un refoulement dans l’inconscient.

A ces types idéaux de motivations rationnelles, il faut aussi, précise Max Weber, ajouter les comportements affectuels, tels que la haine, la jalousie, l’entente, etc. Ils entrent dans le champ de la sociologie compréhensive que dessine Max Weber, dès lors qu’ils engendrent, chez autrui, de façon virtuelle ou effective, présente ou à venir, des comportements eux-mêmes compréhensibles. En d’autres termes, ces comportements doivent susciter des échanges et c’est justement ici le champ de l’activité sociale selon Max Weber. Il s’agit donc d’un espace d’action qui prend en compte la comptabilité rationnelle et les engagements des individus, mais en égale mesure la dimension affective qui va déterminer la nature des relations au sein d’un groupe.

Nous pensons ainsi identifier des similitudes entre l’activité militaire et l’activité économique, ce qui va permettre une existence et des utilisations relativement faciles de l’expression « guerre économique » comme métaphore de l’activité violente ayant comme but la réalisation de la puissance et l’instauration d’un pouvoir.

Notes
88.

WEBER, Max – « Qu’est-ce que l’idéal-type ? », in Essais sur la théorie de la science, Presses Pocket, Paris, 1992, p. 181

89.

WEBER, Max – « Ce qui détermine l’activité sociale », in Economie et société, tome 1, Plon, 1971, p. 22

90.

WEBER, Mas – idem, p. 20