2.1. Définir l’économie

Le mot « économie », qui vient de deux mots grecs – oikos (maison et vie quotidienne) et nomos (règle) – définissait, dans le monde hellénique et hellénistique, des normes d’action et de réflexion dans l’administration du patrimoine privé et de celui de la cité. Oikos c’est le quotidien, le familier, alors que l’économie va au-delà de la sphère privée proprement dite.

Pour définir l’économie nous devons prendre en compte deux aspects distincts. En tant qu’activité humaine, l’économie est définie comme l’ensemble des faits relatifs à la production, à la distribution et à la consommation des richesses. La production est l’activité caractéristique des entreprises, elle consiste à transformer des biens en d’autres biens. La consommation est l’acte économique qui consiste à satisfaire un désir ou un besoin humain par l’usage d’un bien ou d’un service. On constate que l’activité humaine présente un caractère économique dès lors qu’il y a production de valeur dans une agora, dans un marché, dès lors qu’il y a lutte contre la rareté. L’homme a des besoins et des désirs nombreux – et susceptible de s’accroître presque indéfiniment – et la nature ne lui fournit que des ressources limitées ; il doit donc travailler, produire, ce qui signifie faire des choix, organiser socialement travail et production, rendre les produits de son activité complémentaires et plus satisfaisants par l’échange. En tant que science sociale l’économie appréhende l’organisation des activités économiques, les relations humaines et la façon dont les individus ou la société emploient les ressources limitées, en vue de satisfaire leurs besoins.

Si les activités économiques retracent l’histoire de l’humanité, les sciences économiques sont relativement récentes. Même si on peut considérer que la pensée économique débute avec Aristote, le moment considéré comme le véritable commencement de l’économie moderne comme discipline à part entière est la publication, en 1776, par Adam Smith de l’ouvrage An Inquiry into the nature and causes of the Wealth of Nations .

Cette double définition de l’économie, d’un côté, et le besoin de définir l’économie comme discipline scientifique, de l’autre, déterminent souvent une distinction arbitraire entre ce qui relève de l’analyse positive (qui décrit ce qui est) et ce qui relève d’une démarche normative (qui prescrit ce qui devrait être). Un malaise semble s’installer pour les spécialistes de l’économie, partagés entre la réflexion théorique et les applications pratiques et politiques. Dans l’étude historique, également, on dépasse difficilement l’opposition entre « histoire des doctrines » et « histoires des faits » en économie. On s’accorde à dire que c’est la logique politique du pouvoir qui fait apparaître la dimension normative de l’économie .

Certains économistes français contemporains 91  trouvent une issue à cette impasse dans la définition de l’économie comme un art au sens où elle ne se réduit pas à une mécanique de contraintes (financières au autres) mais s’exprime dans des choix sans cesse renouvelés qui contribuent à l’organisation des relations au sein de la société. Ainsi – nous dit-on clairement - l’économie sert à comprendre la réalité sociale et ses interdépendances multiples pour éclairer les choix individuels ou collectifs; à travers ses décideurs, l’économie sert à agir sur cette même réalité sociale pour tirer parti de ces interdépendances ou les faire évoluer. Sans insister davantage sur les différences entre réflexion et action, cette approche met en lumière l’unité qu’une vision économique peut donner à nos pensées et à nos actes. En faisant cela, en définissant l’économie comme un code de compréhension du monde, on contribue à poser les bases d’une rationalité de l’économique. Comprendre la réalité sociale à l’aide d’une logique économique impose un code de valeurs qui comporte comme concepts définitoires l’efficacité de la production, la rationalisation de la décision et la consommation des biens, dans un cycle définit par la « destruction créatrice ». Ce concept – développé par l’économiste Joseph Schumpeter dans son livre Capitalisme, socialisme et démocratie publié en 1942 – reprend une idée de F. Nietzsche et repose en grande partie sur les conceptions de K. Marx. Dans la vision de Schumpeter, l’innovation est la force motrice de la croissance économique sur long terme, mais cela implique une destruction de valeur – un « ouragan perpétuel » - pour les entreprises en position dominante sur un marché. La « destruction créatrice » est un concept qui nous permet de comprendre les dynamiques du changement économique en articulant les notions de marché, d’innovation et de concurrence, ainsi que de comprendre l’articulation entre temps long et temps court dans l’économie.

Notre analyse se base elle aussi sur un rapprochement entre des faits et des doctrines, mais selon une relecture diachronique de l’économie et cela pour des raisons différentes. D’un côté parce que les idées économiques sont en étroit lien avec les actions qui les inspirent. De l’autre côté, comme Pierre Dockes l’affirme, parce que l’économie a besoin d’un enracinement dans le temps historique.

‘« Le recours à l’économie historique permet et suppose de conjuguer le spécifique et le général, le relatif et l’universel » 92 . ’

Cette approche nous permet d’insérer les idées économiques dans les grands courants de réflexion scientifique et philosophique et de faire les rapprochements nécessaires entre économie et idéologie.

Parce que finalement l’histoire des idées économiques reste en grande partie une succession de visions doctrinaires ancrées dans des évolutions politiques et sociales précises.

Nous pouvons ainsi délimiter trois étapes dans l’évolution des idées économiques dans leurs rapports intrinsèques avec le reste de la société.

Notes
91.

Christian AUBIN, doyen de la faculté de sciences économiques de l’Université de Poitiers, Jean-Paul POLLIN, professeur à l’Université d’Orléans et Jean-Marc VITTORI, éditorialiste au journal Les Echos essayant de définir l’économie pendant la table ronde « L’économie, à quoi ça sert ? », La Maison des Sciences, Poitiers, 13 octobre 2004

92.

Pierre DOCKES – « Pour une économie historique » - conférence à La Maison des Sciences, Poitiers, 31 mars 2005