3.1.3. La fonction économique des guerres

La guerre peut être analysée comme ayant une fonction économique. Dans ce contexte L. Mumford parle de la « fonction de gaspillage » de la guerre définie comme une « mise hors circuit des produits ».

‘« La guerre détruit les stocks inutiles qui ont été accumulés : elle n’est pas seulement la santé de l’Etat mais un facteur négatif qui vient en équilibrer les comptes car le train de vie le plus fantasque et le plus luxueux ne peut rivaliser avec un champ de bataille en fait de consommation rapide » 123 .’

La cause économique des guerres réside ici dans la fonction « destructrice » du mécanisme économique mise en mouvement au moment où une population donnée ne peut pas assurer naturellement cette fonction où la nature des biens produits ne correspond pas à une utilité reconnue comme telle par ses bénéficiaires.

Ce type d’analyse se focalise sur la période d’accumulation préalable à la guerre et se décline en fonction de la nature des produits en surplus. La guerre militaire acquiert une dimension économique quand elle implique une accumulation d’outils guerriers (armes, logistique, approvisionnements) et alors l’ennemi est choisi de manière arbitraire et sans rapport direct avec l’accumulation. Pour une surproduction pour laquelle l’on cherche des nouveaux marchés et donc des acheteurs à l’extérieur du pays il s’agit d’une guerre économique dans le sens qui fait l’objet de nos recherches (voir dans ce sens la deuxième partie de notre thèse). Il s’agit à nouveau d’un besoin d’accroissement des exportations pour assurer le développement (la survie) d’un Etat, une définition qui nous rapproche d’ailleurs de la théorie de l’espace vital.

A. Le Bras-Chopard précise que ce type de guerre est  plus complexe que la logique de la concurrence économique, puisqu’elle vise à assurer le développement industriel de l’Etat 124 .

L’idée est également utilisée, dans une optique marxiste, pour expliquer la nature même du système capitaliste qui détermine un élargissement de la notion de guerre au domaine social et économique.

Au travers de la description du mouvement impérialiste de la fin du 19e siècle, Lénine inscrit la guerre économique dans les stratégies de création de zones d’influence. Pour lui la guerre naît du conflit violent des impérialismes nationaux pour ce partage du monde qui, en aucun cas, ne peut se régler pacifiquement. Les trêves ne sont que des répits précaires, remis en question au moindre changement dans le rapport des forces et la guerre cessera qu’avec la chute du capitalisme.

Pour Marx, si la guerre à des causes économiques, cela ne repose pas sur le fonctionnement même : le capitalisme porte en lui la guerre, d’abord intérieure et sociale mais aussi extérieure par la concurrence entre pays capitalistes et leur course aux colonies. L’impérialisme désigne alors la volonté pour un Etat de s’assurer par la force ou l’intimidation, des débouchés privilégiés pour son émigration, ses marchandises ou ses capitaux en particulier par la colonisation. Ces guerres sont inéluctables et résultent des contradictions mêmes du capitalisme qui engendre des crises de surproduction. 

La surproduction, cause d’expansion économique ou de guerre militaire, est due, dans l’optique marxiste, à une politique salariale qui assure aux ouvriers un pouvoir d’achat minimum. Dès lors les produits qui assurent au capitaliste la plus-value ne trouvent plus suffisamment d’acheteurs sur le marché intérieur et la nécessité s’impose et de les chercher à l’extérieur. 

La théorie marxiste de l’impérialisme comporte donc à la fois une analyse des guerres à partir de facteurs économiques et une vision prophétique de la fin de l’impérialisme et des guerres par le jeu des contradictions du capitalisme. Ce dernier aspect est abandonné par les néo-marxistes qui notent, au contraire des thèses de Lénine, la persistance de l’impérialisme et ses capacités d’intégration qui ont pris le pas sur ses rivalités 125 .

Il est rare aujourd’hui d’attribuer au phénomène complexe de la guerre une cause exclusivement économique. Bouthoul rappelle que les guerres ont toujours plusieurs fins et pense qu’une des rares guerres qui semble avoir en un motif économique avoué a été la guerre de l’opium entre la Chine et l’Angleterre.

Les économistes se penchent également sur la thèse de la guerre comme alternative à la crise économique, sans pour autant trouver un consensus sur l’impact positif d’une économie de guerre sur le fonctionnement de l’économie nationale à long terme 126 . Mais la nécessité ou la fatalité économique qui serait à l’origine des guerres ne doit pas être confondue avec les aspects économiques des conflits qui forment l’objet de « l’économie de guerre ». 

Notes
123.

MUMFORD, Lewis – Technique et civilisation, Seuil, Paris, 1950, p. 119

124.

Idem, p.116

125.

Des auteurs comme Samir Amin dans L’accumulation à l’échelle mondiale (1970) ou C.A. Michalet dans Le capitalisme mondial  (1976), insistent sur cette internationalisation des économies et la formation d’un système de l’économie mondiale, caractéristique de l’époque contemporaine.

126.

Voir dans ce sens l’ouvrage collectif Civilisations, globalisation, guerre. Discours d’économistes, sous la direction de Jacques Fontanel, Presses Universitaires de Grenoble, 2003