Conclusions

Nous avons constaté dans cette première analyse que la construction des significations de l’expression « guerre économique » se fait dans des discours qui s’inscrivent dans une logique rhétorique argumentative. Il est évident que c’est cette logique qui détermine le sens global et que la définition du paradigme de la guerre économique vise à servir les buts des auteurs, à savoir sensibiliser et mobiliser les acteurs économiques.

Ainsi, P. D’Arcole et Bernard Esambert font appel à un imaginaire de la menace, de l’insécurité économique, qui motive l’approche de type guerrier et justifie la violence. Il s’agit donc d’une forme de légitimation de la violence collective, cette fois-ci dans le domaine économique.

Le paradigme de la guerre économique est construit par comparaison et par analogie à la guerre militaire, par une adaptation des figures spécifiques : confrontation, combat, action violente, motivation collective, ennemi, victoire/défaite, conquête de territoire/marché.

Nous avons synthétisé les résultats de notre analyse dans un tableau comparatif.

La construction du paradigme « guerre économique » dans le corpus P.d’Arcole et B. Esambert
  P. d’Arcole B. Esambert
Fonctions du discours
Légitimation de la violence économique Définition de la guerre économique
Sensibilisation  : présentationdes enjeux Mobilisation des acteurs
Pédagogique  : fournir des outils/armes  
Mode de construction du paradigme Définition implicite  ; comparaison avec la guerre Définition explicite  ; analogie avec la guerre
FIGURES SIGNIFICATIONS
Combat Conflit Violence
Puissance
Revanche
Ennemi Identification
Classification
Rivalité
Concurrence
Action Audace
Puissance
Effort
Violence
Dynamisme
Capacité à entreprendre
Collectif Motivation
Engagement
Puissance
Engagement
Solidarité
Gestion
Temporalité Actualité Etat de guerre
Linéarité
Imaginaire Crise
Anticipation
Menace
Idéologie
Insécurité
Chômage

Nous retrouvons dans les deux discours les mêmes figures qui composent le paradigme de la guerre économique, mais nous notons cependant quelques différences d’interprétation.

La figure du « combat » est plus présente dans l’ouvrage de B. Esambert et plus importante en terme de signification ; le combat violent est la forme d’expression d’un pouvoir réel, la revanche change le rapport entre les figures du vainqueur et du vaincu, donnant à chaque fois et à chaque acteur de la guerre la possibilité de victoire.

Les deux récits sont placés dans des moments différents dans une succession de séquences narratives de la guerre (voir notre schéma, supra, p. 14) : si P. D’Arcole parle d’une potentialité de la confrontation guerrière dans le domaine économique, B. Esambert place son discours dans un moment de coïncidence temporale avec la guerre économique. Le premier parle de la nécessité d’identifier l’ennemi, le deuxième semble déjà le connaître ; dans le premier ouvrage l’accent est mis sur la menace économique, tandis que dans le deuxième l’auteur met en scène les chômeurs comme victimes de la violence économique.

Dans le livre de B. Esambert, les marques d’identification de l’auteur sont plus présentes, fait qui nous conduit à penser une implication plus forte de sa part dans le sujet abordé. C’est dans ce contexte que nous avons pensé pour la première fois à la possibilité de faire une distinction entre deux catégories : discours qui ont comme objet la guerre – discours sur la guerre – et discours faisant partie intégrante du contexte spécifique que constitue la guerre – discours de la guerre.

Avec les deux ouvrages analysés, l’expression « guerre économique » semble s’imposer dans le discours médiaté français du début des années 90 comme mise en scène particulière d’un pouvoir particulier  - celui des acteurs économiques – dans un contexte particulier – la mondialisation de l’économie.