2.2.3. L’École de guerre économique : l’ « art » de la guerre

Christian Harbulot considère que le principal levier de la guerre économique est l’information. Pourtant, ce que le directeur de l’Ecole de guerre économique appelle « guerre d’information » est plutôt une forme offensive d’utilisation des techniques de communication :

‘« Il s’agit pas de l’information au sens où les dirigeants pouvaient l’entendre il y a une vingtaine d’années. Nous sommes passés d’une époque où le renseignement et l’espionnage industriel étaient rois à une époque où la communication et le lobbying dominent. Il s’agit donc aujourd’hui d’une guerre d’information et d’influence avec la volonté, la plupart du temps, de déstabiliser l’autre, de fausser les règles du jeu et d’occuper le terrain de la connaissance. » 234
  • Information économique et modèle militaire : le cas américain

Selon les déclarations des spécialistes regroupés autour de L’Ecole de guerre économique, l’Intelligence Economique naît en France comme réponse aux démarches américaines qui selon le modèle fourni par la Révolution des Affaires Militaires (RMA), ont complété le développement de l’outil informatique par une réflexion sur son application dans les affrontements de type géoéconomique.

Avec ce programme de réforme, le commandement militaire américain conscient du bouleversement créé par la société de l’information, décide de modifier ses structures de décision en travaillant sur trois axes  : la conduite collective de la stratégie ; une approche transversale de l’information ;le management de la perception 235 .

En s’inspirant de ce modèle, les acteurs économiques américains mettent en place une série de mesures  :

Le premier axe part de la constatation selon laquelle: la démultiplication des sources d’information, la gestion en temps réel des connaissances et la dimension planétaire des réseaux de circulation de l’information obligent les responsables économiques à faire appel à des spécialistes en stratégie et en information militaire.

Les procédures du « Command », « Control », « Coordination », « Intelligence », « Inter-opérability » sont ainsi transférés dans le monde civil. Les «  war-rooms  » mises en place par certaines firmes commerciales sont définies comme « cellules permanentes de gestion de l’information en temps réel et en temps différé » ayant pour objectif de « préserver les acquis et conquérir de nouvelles parts de marché dans un environnement commercial de plus en plus hostile » 236 .

Le deuxième axe consiste à développer une approche transversale de l’information autour de trois principes directeurs :

- Une méthodologie du cycle du renseignement pour optimiser l’approche du client (Business Intelligence)

- Des techniques de gestion des sources ouvertes pour s’assurer un avantage concurrentiel pérenne sur les concurrents et les futurs compétiteurs (Competitive Intelligence)

- Un tronc commun des connaissances multi-support nécessaires à la maîtrise du couple produit/marché (Knowledge Management)

Le troisième axe fait appel au concept de « perception management » utilisé par la Central Intelligence Agency. Il s’agit d’utiliser la connaissance ou l’information de manière offensive pour « faire céder un partenaire ou un concurrent ». Les experts américains affirment que les résultats très positifs des actions dans le domaine de l’information enregistrés durant l’opération Tempête du désert  « ont amené certaines autorités à étudier les effets de ce concept dans d’autres cadres conflictuels » 237

L’Intelligence Economique Offensive, le modèle français

En France, nombreux sont les ouvrages écrits sur la « guerre de l’information ». Selon L’Ecole de guerre économique de Paris, les stratégies d’information sont de trois types :

- La guerre pour l’information, qui s’appuie au maximum sur l’utilisation des sources ouvertes. Interception d’informations stratégiques et confidentielles (système Echelon, piratage informatique et contrôle global de réseaux)

- La guerre contre l’information, qui consiste à priver un adversaire de son accès à l’information

- La guerre par l’information, qui touche plus particulièrement les actions de désinformation et de manipulation.

Pour le général Pichot-Duclos, la guerre de l’information est le pilier central de la globalisation, comprise comme « stratégie totale ». A son avis, l’étude de la stratégie des Etats-Unis montre clairement que « le véritable enjeu de la guerre de l’information est la domination de la planète » 238 .

Le marché de l’Intelligence économique en France tend à s’organiser, selon le modèle américain, autour de deux axes : le management de l’information stratégique et l’utilisation offensive de l’information et de la communication. La déréglementation que nous avons analysée dans le chapitre précédent représente d’ailleurs un marché porteur pour des pratiques offensives. De plus en plus de consultants se spécialisent en activités offensives de traitement de l’information (lobby, communication de crise, désinformation, etc.). En promettant une meilleure gestion du risque, l’Intelligence offensive propose une maîtrise de l’incertitude générée par une situation de crise. On parle en même temps de prévention et de la possibilité de parer. Les prestations d’Intelligence offensive incluant le « management des perceptions » et les « psy ops » (opérations psychologiques) suivent généralement le modèle américain de « l’information dominance », doctrine issue du monde militaire mise en application dans le secteur économique.

Notes
234.

HARBULOT, Christian – www.journaldunet.com/itws/it_harbulot.shtml, interview accordée au Journal du net, juin 2003

235.

Voir l’Exposé du général (cr) NORLAIN, qui travaille actuellement pour le cabinet Deloitte & Touche, sur l’Intelligence Economique américaine – Colloque organisé par le Sénat, le 20 janvier 2000, dans ????

236.

 Idem

237.

Idem

238.

Exposé du gén. PICHOT-DUCLOS, colloque sur « La guerre de l’information », UNESCO, 25 mars 1999