2.3.4. La « gouvernance mondiale »

La perception du risque liée à la mondialisation est également déterminée par une crise du concept d’Etat-nation, crise interprétée comme l’affaiblissement de sa capacité de régularisation économique. La mondialisation – dit-on – tend à substituer une régulation privée de caractère oligopolistique à la régulation inter-étatique « classique »

‘« Le passage du consensus de Bretton Woods à celui de Washington marque la fin de la période de la régulation inter-étatique de la mondialisation qui aura duré près de 40 ans. Elle est néolibérale ; elle enterre les idées keynésiennes et, avec elles, un régime de régulation placé sous le contrôle des Etats-nations et fondé sur un encadrement public des activités économiques, aussi bien au niveau des territoires nationaux qu’à celui de l’économie mondiale. » 239

Ce phénomène passe par une phase nécessaire, à partir des années 80, de déréglementation successive observable notamment à trois niveaux : le domaine des échanges, le domaine des investissements étrangers et le domaine financier.

Le processus de déréglementation a été imposé par une série de faits économiques qui caractérisent la période :

- L’ attractivité devient un objectif majeur des pays émergents ; ils cherchent à attirer les implantations étrangères pour créer des emplois qualifiés, et pour avoir accès aux nouvelles technologies et aux nouvelles formes de management 

- Le système des taux de change fixe est remplacé par le régime des taux flottants  ; l’allégement ou la suppression du contrôle des changes ouvre des opportunités nouvelles pour la finance internationale privée

- Les groupes avec une forte dimension multi-nationale connaissent une importance croissante des flux intra-firmes dans les échanges internationaux (40%) ; la nature du commerce international change, il est de plus en plus hors marché, constitué par des flux intra-branches de produits intermédiaires.

Il est vrai qu’en grande partie ces changements sont influencés par les TIC. Le développement du secteur impose finalement comme vecteur principal de la nouvelle économie le temps, ou plutôt la vitesse, qui remplace l’espace en l’articulant au temps. Les effets sont visibles :

- Les douanes représentent de moins en moins une barrière commerciale 

- Les codes régissant les investissements étrangers ont été libéralisés et les entraves aux investissements directs on été supprimées en grande partie 

- Avec le support des réseaux, les firmes multinationales peuvent être gérées en temps réel sans augmentation des coûts ; les réseaux incitent à la multiplication des opérations d’externalisation des activités vers des partenaires lointains et indépendants

- La globalisation financière fournit les moyens considérables exigés par la multiplication des opérations d’acquisition-fusion transfrontalières.

Malgré le caractère irréversible de la mondialisation, reste la question de la façon dont peut se mettre en œuvre la re-régularisation des flux. Quels sont les pouvoirs qui peuvent devenir les nouveaux opérateurs de l’économie mondiale ?

Charles-Albert Michalet entrevoit trois possibilités : un retour à une régulation orchestrée par des acteurs publics ; l’émergence d’une multiplicité de territoires infranationaux transfrontières ; la mise en place des agences de régulation chargées d’élaborer des normes universelles et de les faire appliquer par tous les opérateurs à l’échelle mondiale.

Les orientations possibles citées comportent toutes des avantages et des risques. Les mouvements publics d’intégration régionale sont une solution (voir l’élargissement de l’Union européenne), mais ils regroupent généralement des économies inégalement développées. Les territoires infranationaux (voir la notion de « district industriel » proposée par A. Marshall il y a plus d’un siècle) impliquent cependant un redécoupage des anciens territoires nationaux selon une logique d’économie industrielle.

La mise en place des instances de régulation pose le problème de leur statut et du risque de cartellisation.

‘« Trouver de nouveaux fondements pour garantir la légitimité du pouvoir économique constitue sans doute le plus grand défi que doit affronter toute réflexion sur la régulation de la nouvelle économie. » 240

Ainsi, le domaine de la « gouvernance mondiale » se définit par une forte conflictualité. Malgré le fait que la légitimité des organismes supranationaux comme l’Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international soit systématiquement remise en cause, ces organismes représentent désormais des nouvelles formes de décision politique dans le domaine économique, en mettant entre parenthèses les principe de la démocratie représentative. De plus, avec une visibilité réduite dans l’espace public en ce qui concerne les activités, les décisions et les fonctionnements, ces « acteurs politiques mondiaux » ne font qu’accroître l’imaginaire de la menace et de la peur économique.

Michael Spence considère que c’est ce manque d’information, ainsi que les techniques de désinformation qui sont à l’origine même d’une crise de confiance qui affecte en ce moment toute l’économie. Cette crise de confiance augmente la perception du risque et qui a un effet « boule de neige » dans les tensions « guerrières » du monde économique.

Notes
239.

MICHALET, Charles-Albert – op. cit., p. 55

240.

Idem, p. 65