Aux termes de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, la République française est un État unitaire, dont l’indivisibilité forme la caractéristique fondamentale 22 . On a déduit de ce point que la France ne pouvait connaître qu’un seul pouvoir de type politique, défini dans la Constitution et caractérisé par le monopole de la compétence législative. Toute tentative décentralisatrice n’aboutirait ainsi qu’à une décentralisation administrative, caractérisée par la valeur législative, tant de ses fondements que de ses règles de mise en œuvre. Cette définition paraît largement corroborée par l’analyse de l’histoire de la décentralisation française. À l’exception de la Constitution du 3 septembre 1791, l’ensemble des règles relatives à l’administration territoriale antérieures à 1946 est en effet déterminé unilatéralement par le législateur. Si celui-ci paraît, notamment dans les décrets de 1789 23 et dans la loi de 1884 24 , répondre à des impératifs extra juridiques (l’existence d’une donnée naturelle qu’il lui faudrait prendre en compte), la traduction juridique demeure quant à elle exclusivement législative. Conformément au modèle de l’État unitaire, tel qu’esquissé par la doctrine française du début du XXe siècle, le pouvoir de l’État ne rencontre donc aucun tempérament dans son expression ; les collectivités territoriales ne sont que des structures dominées, ne jouissant d’aucune garantie véritable quant à leur statut et à leur(s) fonction(s) 25 . Dans ce cas de figure, le pouvoir vient d’en haut, ou plus précisément, du centre : source unique, il irradie alors l’ensemble administrativo-politique. De ce point de vue, l’État unitaire, administrativement décentralisé, s’oppose nettement à l’État fédéral. À l’opposé, celui-ci ne jouit pas d’une autorité absolue sur son territoire, puisqu’il doit respecter les prérogatives des États fédérés, déterminées dans la Constitution 26 . La constitutionnalisation des règles relatives à l’agencement vertical du pouvoir apparaît ainsi comme la différence fondamentale entre la décentralisation administrative et le fédéralisme. Dans la première situation, les fondements de l’organisation territoriale ne lient pas le législateur de l’État unitaire alors que les organes de l’État fédéral voient leur pouvoir conditionné par les dispositions constitutionnelles. Sa consécration constitutionnelle donne alors une dimension nouvelle à l’organisation verticale du pouvoir.
Si cette distinction se retrouve très nettement au début du XXe siècle, force est toutefois de constater que les États unitaires ont, dans l’ère moderne du constitutionnalisme, procédé à l’inscription constitutionnelle des dispositions relatives à l’organisation du pouvoir local. S’ils semblent alors se rapprocher de la forme juridique de l’État composé, ces États unitaires ne basculent pas ipso facto dans le fédéralisme, d’autant qu’ils prennent soin de réaffirmer leur unité 27 . Cette identique organisation constitutionnelle de l’agencement vertical du pouvoir interpelle l’analyste, en ce qu’elle semble rapprocher des États que l’on a longtemps postulés de deux natures incompatibles. Il convient donc de déterminer si elle engendre des changements et, ce faisant, d’étudier son impact sur l’expression verticale du pouvoir. Proposer une réponse à cette problématique implique, tout d’abord, de préciser la notion de pouvoir et ses rapports avec celle d’État, afin de fixer le vocabulaire. Pour ce faire, un double renvoi aux analyses juridiques et sociologiques semble s’imposer, en ce qu’il permet de confronter le monde juridique, essentiellement idéel, à son incarnation sociale ; la compréhension du droit apparaît alors de façon plus juste (Paragraphe 1.).
Dans un second temps, il faudra bâtir un modèle conceptuel destiné à l’analyse de l’organisation verticale du pouvoir, à partir des notions de Constitution et de pouvoir. De ce point de vue, la Contribution à la théorie générale de l’État de CARRÉ DE MALBERG fournit un premier matériau, à travers la distinction entre souveraineté et puissance d’État. À partir de ce diptyque, un élargissement de la réflexion sera proposé, en s’inspirant principalement des travaux d’HAURIOU, dont la connexité avec ceux de CARRÉ DE MALBERG permet d’élaborer un corpus d’analyse homogène et cohérent. Celui-ci sera ensuite prolongé afin de mettre notre modèle théorique en phase avec l’évolution du droit depuis le début du XXe siècle (Paragraphe 2.).
À titre de rappel, l’article 1er de la Constitution dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ».
Décret du 14 décembre 1789 concernant la constitution des municipalités, Archives parlementaires, 1ère série, t. X, p. 564 ; DUVERGIER (J.-B.), Collection complète des lois, t. 1, pp. 63-71.
Décret du 22 décembre 1789 relatif à la constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives, in DUVERGIER (J.-B.), Collection complète des lois, t. 1, pp. 73-89.
Loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale, dite « Grande charte des communes de France », JORF, 6 avril 1884, p. 1557 ; D., 1884, IV, pp. 25-69 ; DUVERGIER (J.-B.), Collection complète des lois, t. 84, pp. 99-147.
« Le pouvoir de domination étatique sur la province et la commune est juridiquement illimité, en ce que l’État peut, sans violation de leurs droits, leur retirer tout ou partie des facultés qui leur appartiennent », CARRÉ DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l'État. Spécialement d’après les données fournies par le droit constitutionnel français, Paris, Dalloz, 2004 (1ère éd. 1920), Préface d’E. MAULIN, t. I, p. 177.
« L’État non souverain a des droits de puissance publique opposables à l’État souverain dont il dépend, de sorte que celui-ci n’a sur lui que des pouvoirs juridiquement limités », ibid.
À titre d’exemple, l’article 2 de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978, s’il organise un régime avancé d’autonomie locale, réaffirme solennellement que l’Espagne « est fondée sur l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles ».