Chapitre I. L’intégration des collectivités territoriales à l’expression du pouvoir dans l’État : l’originarité immédiate du pouvoir territorial

La conception la plus courante de la décentralisation cantonne les collectivités territoriales au champ administratif, proposant une césure très nette entre d’un côté le pouvoir originaire (d’ordre politique), expression du souverain, et de l’autre le pouvoir secondaire (d’ordre administratif). On peut toutefois relever quelques exceptions qui tendent à proposer une lecture globale du pouvoir en prenant en compte non seulement son expression horizontale, mais également verticale.

La source de l’idée d’intégration (d’abord implicite) des collectivités territoriales à l’expression du pouvoir dans l’État se trouve dans une analyse du traitement conjoint des questions de la représentation et de l’administration par les Révolutionnaires. Si cette assimilation est contestable, elle n’en fournit pas moins un terreau à l’idée républicaine de l’identité du pouvoir aux différents niveaux territoriaux. D’ailleurs, lors des temps difficiles traversés par la IIIe République naissante, plusieurs propositions seront faites pour ériger les conseils généraux en palliatif de l’Assemblée nationale, laissant, là encore, percer l’identité du pouvoir en jeu. La doctrine publiciste a, de son côté, également réfléchi à l’agencement vertical du pouvoir, envisageant la dimension juridico-politique des rapports entre les champs politique et juridique (et partant, la question de l’essence du pouvoir exprimé par les canaux verticaux). Maurice HAURIOU est certainement celui qui a poussé le plus loin cette tentative, en proposant une analyse des rapports entre les phénomènes de décentralisation et de souveraineté. Sa position confirme la présence dans l’analyse juridique d’un courant défendant l’identité du pouvoir des différentes collectivités territoriales lato sensu. La construction d’HAURIOU ne constitue pas, pour autant, la théorisation des législations précédentes ; l’éminent auteur fournit en effet une construction essentiellement théorique, dont il ne tire pas l’ensemble des conséquences. Dans son œuvre comme dans la législation des XVIIIe et XIXe siècles, l’identité des pouvoirs des collectivités territoriales ne se traduit pas par l’acceptation du caractère originaire du pouvoir exprimé territorialement ; elle constitue simplement l’acceptation d’une progressive différenciation verticale du pouvoir (Section I.).

L’inscription constitutionnelle des dispositions relatives aux collectivités territoriales, réalisée en 1946, donne une dimension nouvelle à l’identité des pouvoirs, restée jusqu’alors uniquement implicite. Le Constituant insiste en effet sur l’unité du cadre démocratique d’expression du pouvoir, liant l’État et les collectivités territoriales. Il entend alors promouvoir le pouvoir local, compris comme une liberté, en lui donnant un fondement constitutionnel. À partir de 1946, la pleine expression de la souveraineté du peuple passe donc par deux canaux : les organes constitués étatiques et les collectivités territoriales. Cette intégration explicite conduit à faire du pouvoir exprimé territorialement un pouvoir dont l’origine est constitutionnelle : le pouvoir local intègre alors le champ politique. Cet équilibre n’est pas remis en cause par la Constitution du 4 octobre 1958, qui, au contraire, reprend assez largement les dispositions du texte antérieur. Le Titre XII de la Constitution fonde dès lors bien l’expression de la puissance territoriale. La révision constitutionnelle de 2003, en inscrivant le principe de l’organisation décentralisée de la République dans l’article Premier de la Constitution a paru remettre en cause l’édifice antérieur, en faisant prévaloir une notion centripète sur la liberté d’administration. Il n’en est en fait rien ; les collectivités territoriales sont toujours des cadres de la démocratie politique participant à l’expression du pouvoir originaire dans l’État (Section II.).