Section I. L’intégration implicite des collectivités territoriales à l’expression du pouvoir originaire dans l’État : l’acceptation progressive de la différenciation verticale du pouvoir

Le pouvoir de suffrage « par lequel le corps électoral exerce les fonctions qui lui sont dévolues par la Constitution » 595 est à l’origine des organes constitués politiques, dans lesquels il « fait entrer […] toute la puissance de désir du corps électoral » 596 . « Organe correspondant au nombre, à la masse, au pouvoir majoritaire, expression plus ou moins valable du peuple : cet organe est chargé d’une fonction constitutionnelle à contenu variable dont les éléments essentiels consistent dans la désignation de certains organes publics ou, encore, dans l’approbation de certaines décisions politiques » 597 . Il constitue ainsi un fondement commun aux organes d’État et aux structures territoriales, qui connaissent de façon identique, depuis la législation révolutionnaire jusqu’aux développements les plus récents, une origine élective, qui les inscrit dans le champ de la démocratie politique. Cette inscription – identification est, par ailleurs, renforcée par le fait que les collectivités territoriales servent également de cadres aux élections législatives nationales. Il existe donc un double lien organique (le corps électoral) et fonctionnel (le cadre territorial) qui permet le rapprochement entre le pouvoir exprimé territorialement et celui qui l’est au niveau de l’État.

Ces fondements, mis en lumière par la volonté de la Constituante de traiter simultanément des questions de la représentation et de l’administration, ne trouvent pas de consécration juridique dans la législation révolutionnaire. Ce n’est qu’avec la loi TRÉVENEUC (1872), qui organise la substitution des conseils généraux à une Assemblée nationale défaillante, que se trouve agencée une véritable expression verticale du pouvoir, reposant sur le postulat (implicite) de l’identité, ou à tout le moins, de la continuité du pouvoir exprimé aux différents échelons territoriaux (Paragraphe 1.).

Les analyses doctrinales proposant une réflexion générale sur l’organisation du pouvoir dans l’État à travers le rattachement explicite de la décentralisation à la souveraineté sont rares. Cela revient en effet à envisager l’inscription (possible) des collectivités territoriales dans le champ politique, ce que la doctrine publiciste française se refuse à faire. HAURIOU sera ainsi un des seuls à tenter cette démarche, qu’il fonde sur la différence entre régime administratif et régime constitutionnel. Il estime alors que la décentralisation, en ce qu’elle vise à rendre à la Nation sa liberté politique, relève du second ; ce qui justifie le rapprochement opéré entre souveraineté et décentralisation. La décentralisation, notion duale, ne peut toutefois être complètement coupée du régime administratif. Le Doyen de Toulouse tente alors une articulation difficile entre des exigences contradictoires, qu’il ne parvient pas à concilier. La rupture envisagée ne peut donc être menée à son terme, HAURIOU se rattachant in fine à la conception classique. Bien que théoriquement cadres politiques, les collectivités territoriales demeurent in concreto des structures administratives (Paragraphe 2.).

Notes
595.

AUBY (J.-M.), « La théorie du pouvoir de suffrage en droit constitutionnel français », Politique, 1958, p. 293.

596.

HAURIOU (M.), Principes de droit public…, 2e éd., op. cit., p. 703, cité in AUBY (J.-M.), « La théorie du pouvoir de suffrage…», op. cit., p. 305.

597.

AUBY (J.-M.), « La théorie du pouvoir de suffrage… », op. cit., p. 304.