Paragraphe 1. Les textes constitutionnels de 1946 : le caractère originaire du pouvoir des collectivités territoriales

Une remarque préliminaire, d’ordre méthodologique, s’impose avant de procéder à l’analyse des travaux des Assemblées nationales constituantes de 1945-1946, qui explique la place importante accordée au projet du 19 avril 1946 par rapport à la Constitution du 27 octobre 1946. Les travaux de ces deux Chambres doivent en fait être considérés comme un tout ; leur logique n’est pleinement compréhensible que si cette période est envisagée dans sa continuité. La Constitution du 27 octobre 1946 « fut [en effet] votée au lendemain du rejet du projet constitutionnel d’avril par une assemblée pressée par le temps et désireuse de sortir du provisoire : ceci explique pourquoi les véritables débats se sont déroulés devant la première Assemblée constituante, tandis que ceux de la seconde ont eu seulement pour but de corriger le projet d’avril afin de tenir compte des indications du référendum. Or la controverse n’avait pas porté sur les institutions locales, et de ce fait, bien qu’en retrait sur le texte d’avril, le titre X conserve l’essentiel des dispositions de ce texte » 713 . Aussi, l’analyse de la portée des travaux du Constituant doit-elle prendre en compte les deux projets, qui constituent en fait les deux étapes d’une même dynamique.

Les deux Assemblées nationales constituantes réunies en 1945-1946 consacrèrent de nombreux débats à la question du pouvoir local. L’inscription constitutionnelle des dispositions qui lui sont relatives relève du souci d’établir une démocratie globale, c’est-à-dire reposant, à l’instar de la conception tocquevillienne, sur des ferments locaux réels et renforcés. Il s’agit donc bien, par ce biais, d’inscrire les collectivités territoriales dans le « corps politique de l’État », en en faisant de véritables cadres de la démocratie politique républicaine (A.).

En ce sens, la constitutionnalisation répond à un souci idéologique réel et exprès ; elle constitue une véritable protection pour l’échelon territorial puisque la puissance d’État ne peut plus annihiler la liberté politique territoriale. La constitutionnalisation assure, ce faisant, la parfaite traduction de l’opinion majoritaire dans les Assemblées. Elle conduit ainsi, conséquence de la conception globale de la démocratie politique, à l’expression duale du pouvoir dans l’État puisque les organes étatiques n’épuisent plus les cadres de la démocratie politique. Les structures territoriales se trouvent ainsi érigées en véritable puissance politique, à l’instar des organes de la puissance d’État (B.).

Notes
713.

BOURJOL (M.), Les institutions régionales de 1789 à nos jours, op. cit., p. 215.