PARTIE II. LA MISE EN ŒUVRE DU POUVOIR LOCAL, D’UNE LIBERTÉ TOLÉRÉE À UNE RÉSERVE DE PUISSANCE, MODALITÉ SECONDE DE L’ACTION PUBLIQUE

‘« L’essence même de la décentralisation consiste en ce que la population d’une circonscription décide elle-même les affaires locales ».
HAURIOU (M.), « Décentralisation », op. cit., p. 475.’

L’inscription constitutionnelle de la liberté territoriale d’administration, tempérament du pouvoir d’État à l’égard de son territoire, aboutit à l’admission d’un champ d’action protégé en faveur des collectivités territoriales. Dans ce cadre, leur pouvoir, compris de façon libérale, correspond à une libre capacité de gérer les affaires de la communauté locale. On peut donc concevoir la reconnaissance du pouvoir local comme la base de l’autonomie locale : il s’agit d’une marge de manœuvre reconnue et admise en faveur des collectivités territoriales, afin qu’elles réalisent leurs propres fins.

La vocation à se saisir des affaires de son intérêt est en effet un élément de définition de la notion de collectivités territoriales 1029 . Leurs matières d’intervention se définissent alors par leur lien avec l’intérêt local, qui se publicise progressivement, au fur et à mesure que ces institutions intègrent l’administration publique 1030 . Envisager le pouvoir local à partir d’une notion aussi difficilement saisissable que celles d’affaires propres conduit à en adopter une conception formelle et téléologique. Cette caractéristique est d’ailleurs présente quelque soit le niveau normatif où l’on considère le pouvoir local. Comme lors de l’analyse de ses fondements, ce pan du pouvoir des collectivités territoriales, d’abord défini par la loi, est progressivement constitutionnalisé. Cette élévation normative conduit ainsi à la création progressive d’une réserve de puissance en faveur des collectivités territoriales ; la puissance d’État ne dispose plus alors d’un pouvoir absolu sur son territoire puisqu’elle doit respecter la liberté des collectivités territoriales, constitutionnellement définie. Les normes constitutionnelles ne viennent toutefois pas se substituer aux normes législatives (comme dans le cas de l’inscription constitutionnelle), mais s’y superposer (la Constitution organisant les modalités d’intervention de la loi). La mise en œuvre du pouvoir local doit ainsi être appréciée concurremment aux deux niveaux normatifs ; le législateur est en effet l’organe compétent pour appliquer la libre administration des collectivités territoriales tandis que les normes constitutionnelles (notamment la jurisprudence du Conseil constitutionnel) encadrent cette dernière, s’affirmant de plus en plus comme des fondements directs de la concrétisation de la puissance territoriale. Il convient donc de mettre en parallèle les deux niveaux normatifs afin d’obtenir une pleine et juste appréhension de la concrétisation du pouvoir local.

Les affaires propres constituent les intérêts communs d’une population instituée en collectivité territoriale. Elles apparaissent très tôt comme la condition sine qua non à l’admission d’un pouvoir local par les autorités étatiques ; l’existence d’affaires particulières justifient les marges de liberté octroyées par le pouvoir central. L’État procède dès lors à la validation rétrospective d’une situation de fait (la consécration d’une donnée naturelle), mais il participe également de l’élargissement des prérogatives locales en déléguant certaines attributions. Il confirme, ce faisant, la définition téléologique du pouvoir local. Parallèlement, les tenants de ce pouvoir ont très vite investi ce champ et revendiqué une liberté toujours plus importante pour les collectivités territoriales. Si la consécration légale d’une clause générale de compétence en faveur des collectivités territoriales a paru, dans un premier temps, satisfaire cette revendication, il semble qu’elle ne constitue qu’un élément fragile d’autonomie. Le législateur multiplie en effet les législations concurrentes, enserrant la marge de manœuvre des collectivités territoriales de façon à les contraindre à agir comme il le désire. Le champ du pouvoir local, défini au seul niveau légal, apparaît dès lors comme une tolérance de la loi, ne constituant donc pas une source stable d’autonomie pour les collectivités territoriales (Titre I.).

Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, outre la dimension démocratique déjà relevé, constitue parallèlement une source de liberté pour l’action des collectivités territoriales. Répondant à la même logique libérale que la définition légale au pouvoir local, cette notion constitue cependant une limite à l’activité du législateur, qui doit en effet respecter la réserve de puissance admise en faveur des collectivités territoriales. Si la dimension démocratique est largement privilégiée par les organes constitués, faisant de la libre administration des collectivités territoriales une source d’autonomie essentiellement organique, la capacité de faire est progressivement renforcée. Les bases constitutionnelles du pouvoir local sont ainsi complétées (c’est-à-dire explicitées) par la jurisprudence constitutionnelle, parachevant progressivement le procès de constitutionnalisation initié par le Constituant. Ce second mouvement illustre bien l’importance du juge constitutionnel dans la formation du droit des collectivités territoriales 1031 . Malgré cela, la puissance territoriale demeure fragile. Deux raisons peuvent être évoquées : les juges constitutionnel et administratif ne lui sont pas très favorables ; les modalités de protection de la puissance territoriale par les collectivités territoriales sont ainsi extrêmement sommaires. La puissance territoriale, bien qu’exprimant un pouvoir originaire, n’est, dans sa traduction positive, qu’un pouvoir second (Titre II.).

Titre I. La mise en œuvre du pouvoir local dans la loi : une liberté de gestion simplement tolérée

Titre II. La mise en œuvre du pouvoir local dans la Constitution : une réserve de puissance, modalité seconde de l’action publique

Notes
1029.

BOURDON (J.), PONTIER (J.-M.), RICCI (J.-C.), Droit des collectivités territoriales, op. cit., p. 53.

1030.

LANZA (A.), L’expression constitutionnelle de l’administration…, op. cit., pp. 484-ss.

1031.

FAURE (B.), « Le rôle du juge constitutionnel dans l’élaboration du droit des collectivités locales », Pouvoirs, n° 99, 2001, pp. 117-133.