Paragraphe 1. La parlementarisation des assemblées locales : l’institutionnalisation territoriale du pluralisme politique

Les organes locaux connaissent, depuis la relance de la décentralisation en 1982, un renouvellement de leur fonctionnement. Les réformes des différents modes de scrutin ont abouti à l’admission de l’expression d’une minorité locale, équivalent dans les conseils territoriaux à l’opposition au sein du Parlement. « En fin de compte, en rendant beaucoup plus sensible la présence de tous les courants politiques et en particulier les minoritaires, tout en aidant la constitution de majorités cohérentes, la configuration des assemblées locales (communales, départementales, régionales) est devenue analogue à celle des assemblées parlementaires. Et, s’y ajoutant l’intégration des enjeux de la politique nationale dans les campagnes électorales, le mécanisme du couple majorité – opposition s’y est reproduit presque de façon naturelle » 1349 . Ce processus, politique, se traduit alors de jure par un alignement des règles de fonctionnement des différentes assemblées politiques, étatiques et territoriales. On assiste ainsi à la parlementarisation des assemblées locales, c’est-à-dire à « un processus dans lequel se dessinent certaines concordances entre les assemblées locales et les assemblées parlementaires nationales françaises, tant dans leur organisation que dans leur fonctionnement » 1350 , résultant de l’existence des mêmes composantes juridiques aux échelons local et national 1351 .

La parlementarisation des assemblées territoriales, logique si l’on admet que les collectivités territoriales sont des cadres de la démocratie politique, « tend à confirmer l’émergence d’une conception politique et plus seulement administrative des collectivités locales. Les intérêts de la collectivité ne sont plus seulement l’objet d’une gestion administrative, ils sont de surcroît l’objet d’une gestion politique » 1352  ; son « enjeu majeur [… est alors] d’instaurer avant tout une véritable responsabilisation politique : celle de l’exécutif face à l’assemblée et celle, plus large, des élus face à leurs électeurs » 1353 . La dynamique de rapprochement des règles de fonctionnement des différentes assemblées politiques se traduit alors par l’extension aux collectivités territoriales de règles et/ou mécanismes constitutionnels initialement prévus pour les seules assemblées parlementaires, selon un processus de « constitutionnalisation exogène » 1354 . Celui-ci « résulte de l’application aux collectivités locales de règles constitutionnelles non prévues pour les collectivités locales, mais que le législateur souhaite leur appliquer. […] Cette constitutionnalisation n’est [par ailleurs] acceptée par le juge constitutionnel que dans la mesure où elle n’entre pas en contradiction avec la constitutionnalisation endogène » 1355 . Concentrée principalement sur le fonctionnement des organes locaux, la constitutionnalisation exogène tend à appliquer aux collectivités territoriales les règles fondamentales de la démocratie. Participant du mouvement plus large d’uniformisation du champ politique, ce processus apparaît parfaitement dans la dynamique de parlementarisation des assemblées locales, tant pour leurs règles de fonctionnement que pour celles régissant les rapports entre organes locaux, confirmant l’intégration des collectivités territoriales dans le fonctionnement de la démocratie globale.

Si les assemblées locales ont ainsi acquis une liberté protégée dans leur fonctionnement (B.), l’autonomie dans les rapports entre organes territoriaux est quant à elle beaucoup moins prononcée. Les principes constitutionnels propres au parlementarisme rationalisé ne trouvent ainsi qu’une application très encadrée (A.).

Notes
1349.

CASTANIÉ (S.), La parlementarisation des assemblées…, op. cit., t. 1, p. 26.

1350.

Ibid., t. 1, p. 5.

1351.

Sylvie CASTANIÉ remarque ainsi très justement que la dynamique de parlementarisation « n’est possible que parce qu’au départ il existe entre les deux types d’assemblées locales et nationales un dénominateur commun. Toutes les deux, issues du suffrage politique, sont des mises en scène d’enjeux politiques », ibid., t. 1, p. 30.

1352.

Ibid., t. 2, p. 405.

1353.

Ibid., t. 2, p. 407.

1354.

Celui-ci s’oppose à la « constitutionnalisation endogène », qui correspond à ce que nous qualifions plus simplement d’inscription constitutionnelle ; il s’agit donc de l’inscription constitutionnelle de dispositions relatives aux collectivités territoriales. Sur cette distinction, v. PONTIER (J.-M.), « L’emprunt des techniques du droit constitutionnel par le droit des collectivités territoriales », in AUBY (J.-B.), FAURE (B.) (Sous la direction), Le droit des collectivités locales. Les mutations actuelles, Paris, Dalloz, « Actes », 2001, p. 84.

1355.

Ibid.