Paragraphe 2. La constitutionnalisation des mécanismes de répartition des compétences : le refus d’une définition plurielle des attributions confirme que la puissance territoriale est une modalité seconde de l’action publique

Il est une différence fondamentale entre un État unitaire (stricto sensu) et un État composé. La Constitution d’un État unitaire ne comporte jamais de référence à des mécanismes de répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, alors que la Loi fondamentale d’un État fédéral ou d’un État régional organise la répartition des tâches entre l’État et ses composantes territoriales. De manière générale, il s’agit d’une détermination matérielle, c’est-à-dire d’un ensemble de listes mentionnant les compétences et leur(s) titulaire(s). La France a pendant longtemps correspondu au modèle typique de l’État unitaire dont la décentralisation administrative n’impliquait pas de mention constitutionnelle des mécanismes de répartition des compétences 1620 .

La révision de la Loi fondamentale de mars 2003 s’est cependant saisie de cette question, introduisant dans le titre consacré aux collectivités territoriales plusieurs principes devant guider l’aménagement de la répartition des compétences entre l’État et ses composantes territoriales. Cette constitutionnalisation, si elle peut surprendre, rappelle néanmoins que, même dans un État unitaire, « la répartition des compétences est une démarche éminemment politique. Les possibilités de répartition sont nombreuses et directement fonction du choix d’un certain type ou d’une certaine structure de l’État » 1621 . Il peut alors apparaître logique que la Loi fondamentale mentionne les principes les plus importants. La voie de cette constitutionnalisation des mécanismes de répartition des compétences est d’ailleurs ouverte par le juge constitutionnel à travers la « découverte » et l’admission de la notion de « compétence propre » à partir de la décision n° 90-274 DC. Bien que recourant à une expression tirée du vocabulaire de l’État fédéral, le juge de la rue Montpensier s’en sert uniquement pour protéger la clause générale de compétence, dont les fondements légaux n’assuraient pas une garantie suffisante. Bien que limitée, cette admission par le juge constitutionnel constitue toutefois un premier pas en direction de l’inscription constitutionnelle de l’organisation verticale du pouvoir.

En 2003, confronté à la question de la répartition des compétences, le pouvoir constituant fait face à une alternative, dont les termes sont identiques à celle à l’œuvre au niveau législatif sur des questions similaires 1622  : il peut recourir à des dispositifs de deux types, matériel ou formel. Dans la première hypothèse, la Constitution établit une ou plusieurs listes limitant les compétences respectives de l’État et des composantes territoriales. Ce dispositif est principalement retenu dans le cadre des États composés, qui procèdent ainsi à l’articulation des différents niveaux de pouvoir. Le pouvoir constituant français n’a pas adopté de mécanismes matériels de répartition des compétences, n’engageant ainsi pas la République sur la voie de la fédéralisation (A.).

Ce sont au contraire des principes formels qui ont retenu son attention, confortant l’articulation française entre Constitution et loi. On peut alors s’interroger sur la portée de cette innovation. En désignant le législateur comme seul maître de la mise en œuvre de ce processus, le Constituant a transformé un processus de renforcement potentiel de la puissance territoriale en un dispositif de réification de sa faiblesse (B.).

Notes
1620.

Jean-Marie PONTIER explique ainsi ce phénomène : « le problème de la détermination des compétences des collectivités locales, donc du partage des compétences entre l’État et les collectivités locales, ne s’est présenté sous une forme juridique qu’à l’époque contemporaine. Pendant longtemps, les considérations politiques ont occulté les questions juridiques. […] Quant au législateur, il pouvait d’autant plus se contenter de formules vagues que ceci permettait aux autorités réglementaires nationales et au juge administratif de contrôler le contenu et l’étendue des affaires locales », PONTIER (J.-M.), « L’emprunt des techniques du droit constitutionnel… », op. cit., pp. 70-71.

1621.

MADIOT (Y.), « Les techniques de correction de la répartition des compétences entre collectivités locales », RFDA, 1996, p. 965.

1622.

V. le Titre précédent.