Section II. La constitutionnalisation des moyens de protection de la puissance territoriale : l’inachèvement de l’État constitutionnel en France

« Le juge est le seul garant possible d’une liberté ».

HAURIOU, « Note sous CE, 20 mars 1901, Casanova », S. 1901, III, p. 73.

Le Constituant de 1946, en inscrivant la liberté locale dans la Constitution, entendit assurer sa protection contre la puissance d’État. Son œuvre, reprise en 1958, vise ainsi à garantir aux collectivités territoriales qu’elles jouiront d’une capacité d’action réelle contre l’État. À cette fin, plusieurs mécanismes entrent en jeu, sans, d’ailleurs, qu’ils aient tous été prévus dès l’origine. Deux procédés retiendront plus particulièrement notre attention : les procédures de définition de la puissance territoriale, puis celles assurant sa protection juridictionnelle.

Les premières renvoient alors à l’articulation choisie entre les différents niveaux normatifs de la libre administration des collectivités territoriales dans l’État constitutionnel français (fondement constitutionnel, mise en œuvre législative). Si le choix du législateur comme organe compétent pour concrétiser les dispositions constitutionnelles relatives à l’organisation territoriale a été largement interprété comme une garantie en faveur des collectivités territoriales, celles-ci ne participent toutefois ni à l’établissement, ni à la révision des dispositions constitutionnelles qui leur sont relatives. Les composantes de la puissance territoriale ne maîtrisent donc pas les fondements de leur pouvoir et n’interviennent que fort marginalement dans les normes prévalentes de mise en œuvre. La protection de la puissance territoriale à raison des organes compétents à sa concrétisation apparaît ainsi largement hétéronome, consacrant sa précarité face à la puissance d’État (Paragraphe 1.).

La protection de la puissance territoriale passe, également, par le recours au levier juridictionnel, c’est-à-dire, plus précisément, par les interventions des juges constitutionnel et administratif. Bien que relevant plus largement de la faculté des collectivités territoriales (elle devrait donc être un élément favorable à l’autonomie des structures territoriales), cette protection juridictionnelle rencontre des limites importantes, allant de l’impossible saisine du Conseil constitutionnel par les collectivités territoriales à l’adoption par la jurisprudence administrative d’une conception essentiellement fonctionnelle de l’administration territoriale ; l’organisation verticale du pouvoir en France demeure incomplète tant que la puissance territoriale, bien que constitutionnalisée, ne jouit pas d’une protection satisfaisante face à la puissance d’État (Paragraphe 2.).