INTRODUCTION

Un composé coordinatif peut, en première approximation, être défini en creux comme tout composé qui n’est pas déterminatif, ou, pour adopter un terme adéquat pour les trois catégories lexicales majeures — substantifs, adjectifs et verbes —, tout composé qui n’est pas subordinatif (les termes composé subordinatif et composé coordinatif sont ici utilisés par abus de langage, et désignent un composé dont les composants entrent dans une relation sémantique de subordination ou de coordination). La subordination sémantique est une relation de dépendance entre un composant-modificateur et un composant-tête. En anglais, elle est quasi-exclusivement régressive : dans soccer mom, soccer modifie mom ; dans trigger-happy, trigger modifie happy ; dans cross-examine, cross modifie examine. La coordination sémantique est, elle, à l’opposé, une relation de type égalitaire entre les composants, laquelle est soit marquée formellement, soit glosée par un coordonnant (ex. : skull and crossbones ; player-manager = “player and manager” ; Senegambia = “Senegal and Gambia”). La distri-bution des composés subordinatifs et coordinatifs dans le lexique anglais est totalement disproportionnée 1 : après analyse d’un corpus de composés nominaux lexicaux extraits d’un échantillon aléatoire de 25 pages du Concise Oxford Dictionary, dixième édition (= COD10), Arnaud (2002:4) relève que 98 % des items sont subordinatifs, ce qui montre que la place occupée par les composés coordinatifs est tout à fait marginale. Cette marginalité quantitative se retrouve au niveau qualitatif : les composés coor-dinatifs anglais n’ont en général droit qu’à une brève mention dans la littérature spécialisée, et le phénomène est au mieux illustré par une dizaine d’exemples, lesquels ne sont pas toujours lexicaux. Cette sous-évaluation n’est pas propre à l’anglais : Darmesteter (1877:124) affirme ainsi qu’ “il n’ y a point en français de mots formés de deux noms où les termes ne jouant pas le rôle de déterminant ou de déterminé l’un par rapport à l’autre, soient tous deux sur le même plan et aient la même valeur” 2 , alors que les composés sourd-muet, trente-et-quarante, point-virgule et chaud-froid sont attestés respectivement dès 1564, 1648, 1785 et 1808 3 . Ces lacunes descriptives, tant au plan quantitatif que qualitatif, méritent d’être comblées, et le but de cette recherche est de braquer les projecteurs sur ce sous-ensemble trop souvent délaissé de composés anglais, en rassemblant et en analysant un corpus aussi volumineux que possible de composés lexicaux.

La problématique de ce travail a pour point de départ une citation de Tournier (1985:133), lequel met sur un pied d’égalité les trois types formels de composition coordinative :

‘“[...] on sait que dans les composés juxtaposés le trait d’union peut avoir le même “sens” que and (ou or), comme dans bed-settee (une forme *bed and settee n’aurait choqué personne, pas plus que ne l’aurait fait une forme *bed-breakfast au lieu de la forme établie bed and breakfast) ; ainsi la forme amalgamée meld aurait pu tout aussi bien être remplacée par la forme juxtaposée *melt-weld ou par la forme coordonnée *melt and weld.”’

S’il est parfaitement fondé de considérer que la structure syndétique, la structure asyndétique et la structure amalgamée sont sémantiquement équivalentes, affirmer que ces trois formes sont indifféremment attendues au terme du processus de lexicogenèse est discutable. Prenant le contre-pied de Tournier, je fais l’hypothèse qu’existent des contraintes qui déterminent tendanciellement le choix d’une structure aux dépens des deux autres. Pour mener à bien la démonstration, une connaissance intime des trois types formels est d’abord nécessaire, et c’est cette quête qui structure la présente thèse.Le Chapitre 1 est une introduction aux deux concepts centraux de cette étude, la compo-sition et la composition coordinative. Les Chapitres 2, 3 et 4 présentent et analysent les sous-corpus correspondant aux trois types formels recensés, respectivement la compo-sition syndétique, la composition asyndétique et la composition amalgamée. Le Chapitre 5 traite de l’ordre des composants, et le Chapitre 6 de l’accentuation des composés. Le Chapitre 7, enfin, montre que des affinités statistiquement remarquables existent entre type sémantique et type formel, ce qui permet de brosser les portraits prototypistes de trois sous-ensembles de composés coordinatifs.

Notes
1.

 Ce constat n’est pas universel : les composés coordinatifs sont très nombreux dans beaucoup de langues du Centre-Est et du Sud-Est asiatiques, notamment le mandarin, le vietnamien et le hmong blanc (Wälchli 2005:215).

2.

 Cité par Noailly (1984:160).

3.

 Ces datations proviennent de la Base Historique du Vocabulaire Français (= BHVF) et du Nouveau Petit Robert (= NPR).