1.2.2. Approche psycholinguistique des relations sémantiques entre composants

L’étude en psychologie cognitive de la combinaison de concepts (angl. conceptual combination) conduit à une typologie binaire des noms composés. Wisnieski (1996:434) part de l’association inédite elephant tie, et constate que diverses inter-prétations sémantiques sont envisageables :

‘“A tie worn by circus elephants.”
A tie with a picture of an elephant on it.”
A very large tie.”
A group of elephants tied together by their trunks and tails.”’

La pluralité des lectures est néanmoins réductible à deux types de stratégies cognitives, l’interprétation relationnelle (angl. relational interpretation) et l’interprétation ana-logique (angl. property interpretation). La stratégie relationnelle passe par une verbalisation de la relation précise qui sous-tend l’association des substantifs X et Y. La combinaison (angl. novel compound) robin snake pourra par exemple signifier “un serpent qui se nourrit typiquement de rouge-gorge”. La stratégie analogique repose, elle, sur le transfert d’un trait conceptuel saillant de X à Y. Dans ce cas, robin snake sera par exemple interprété comme “un serpent à la gorge et la poitrine roux vif”. La lecture analogique d’une combinaison n’est cependant pas univoque, car si plusieurs traits conceptuels sont transférés, on peut basculer vers une interprétation hybride (angl. hybrid interpretation) de l’assemblage : moose elephant peut désigner un animal qui ressemble à la fois à un élan et à un éléphant, et saw scissors un outil servant à la fois à scier et à découper. Une même combinaison peut potentiellement correspondre aux trois interprétations. Wilkenfeld et Ward (2001:22) proposent par exemple pour zebra horse :

‘“A horse for herding zebra.” (lecture relationnelle)
A striped horse.” (lecture analogique)
An animal that is a cross between a zebra and a horse.” (lecture hybride)’

Cette polysémie potentielle est rarement actualisée dans le lexique, mais le phénomène est attesté, comme le montre la bisémie des deux composés du Tableau 1 :

Tableau 1 : Composés lexicaux dont la bisémie est fondée sur une opposition entre lecture relationnelle et lecture hybride
composé lecture relationnelle lecture hybride
ape-man (WN2.1) A person assumed to have been raised by apes.” A hypothetical organism formerly thought to be intermediate between apes and human beings.”
wolf dog (AHD4) A dog trained
to hunt wolves
.”
The hybrid offspring
of a dog and a wolf
.”

Une fois que le composé est lexicalisé, seule une connaissance pointue du denotatum, éventuellement complétée par des informations étymologiques, permet de déterminer avec certitude la nature de la relation sémantique entre composants. L’opacité du lien sémantique qui lie par exemple les constituants du composé pigeon hawk est très forte pour qui n’est pas fauconnier. L’émerillon n’est pas un faucon friand de pigeons (lecture relationnelle) 41 ou le fruit d’un croisement génétique entre un faucon et un pigeon (lecture hybride), mais un rapace qui a pour caractéristique saillante un vol qui ressemble à celui du pigeon.

Wisnieski (1996:436, 438) adopte une approche prototypiste de la notion d’hybridité conceptuelle. Il accepte comme condition suffisante d’hybridité une ana-logie fondée sur l’existence de “plusieurs” traits conceptuels communs, considérant qu’il n’y a pas de frontière nette entre lecture analogique et lecture hybride. Séparer de manière rigoureuse les composés analogiques et hybrides semble cependant possible quand le denotatum est un être vivant. Si l’on délaisse l’approche psycholinguistique, qui s’intéresse quasi-exclusivement à des combinaisons, c’est-à-dire des composés appartenant au lexique potentiel, pour une étude lexicologique, qui porte, elle, sur des composés lexicaux, l’interprétation hybride peut être restreinte aux cas où l’hybridité perceptuelle, repérée par l’énoncé-test “An X.Y is both X-like and Y-like.”, se double d’une hybridité génétique. La classification linnéenne permet en effet de différencier deux types de composés : d’un côté, ceux comme shrew mole qui sont des hybrides perceptuels, mais qui, taxinomiquement, forment un sous-ensemble de la catégorie désignée par le composant Y (les taupes-musaraignes, ou Uropsilinae,appartiennent à la famille des talpidés, et non à celle des soricidés), et de l’autre, ceux comme wolf dog qui désignent des êtres vivants issus du croisement génétique de deux espèces.

Notes
41.

 Cette lecture est pourtant attestée pour un composé proche, sparrow hawk (Accipiter nisus).