1.2.3. Typologie des relations sémantiques analogiques et relationnelles

La variété des relations attestées ne doit pas être un frein à la volonté d’esquisser une typologie des relations analogiques et relationnelles rencontrées. Les relations analogiques peuvent être regroupées autour de deux pôles, l’un détaillant des caractéristiques perceptuelles, l’autre des caractéristiques comportementales ou fonc-tionnelles des denotata. La liste ci-dessous illustre la diversité des relations analogiques perceptuelles lexicalisées :

‘- analogie de forme globale : acorn squash, angel shark, arrow worm, mushroom cloud, muttonchop whiskers, sausage dog, fiddler crab, handlebar moustache ’ ‘- analogie de forme restreinte à un élément saillant : jackrabbit (longues oreilles), opossum shrimp (poche ventrale), catfish (moustaches), alligator clip (mâ-choires), horseshoe crab 42 (céphalo-thorax), elephant shrew (trompe)’ ‘- analogie de taille : pea-brain ’ ‘- analogie de motif : peacock butterfly, harlequin duck, mackerel sky ’ ‘ analogie de couleur : lemon-belly ’ ‘- analogie de motif et de couleur : panda car, tiger lily, zebra finch, leopard lizard ’ ‘- analogie olfactive : banana oil, goat moth, pineapple weed, skunk cabbage, lemon verbena ’ ‘- analogie gustative : mutton bird ’ ‘- analogie sonore : bellbird, catbird, sheep frog.’

Le deuxième grand type de relation analogique est comportemental quand le denotatum est un être vivant, ou bien fonctionnel, quand il appartient à une autre catégorie sémantique :

wolf spider (chasse sa proie plutôt que de l’attraper dans sa toile)
hedgehog caterpillar (se roule en boule et hérisse ses piquants)
butcher-bird (empale sa proie sur une épine)
army ant (se déplace en colonie et pille plantes et animaux sur son passage)
cat burglar (s’introduit dans les bâtiments en les escaladant lestement)
portmanteau word (fonctionne comme un portemanteau 43 )
snail mail (va à la vitesse d’un escargot)’

Certaines relations sont inclassables dans la typologie ci-dessus, du fait de l’originalité de l’analogie : c’est le cas par exemple de spaghetti western, qui transfère le trait conceptuel [PRODUIT D’ORIGINE ITALIENNE] de N1 à N2. La classification est aussi compliquée par le fait que plusieurs traits conceptuels peuvent être transférés — c’est le cas de la bi-analogie motif-couleur, et aussi des relations analogiques présidant à l’assemblage des composés turkey vulture ([TAILLE], [ASPECT DE LA TÊTE ET DU COU] [COULEUR DE LA TÊTE ET DU COU]) elephant seal ([TAILLE], [TROMPE]) et cherry tomato ([TAILLE], [FORME], [COULEUR]) —, ou par le fait que le composant-modificateur a une interprétation métonymique (c’est le cas de rainbow coalition, composé fondé sur une relation analogique qui passe par le trait conceptuel [ASSOCIA-TION PAR CONTIGUÏTÉ DE PLUSIEURS COULEURS], les couleurs désignant ici par métonymie des partis politiques).

Les interprétations relationnelles ont été l’objet de nombreuses tentatives de classification, travaux dont Arnaud (2003:37-60) propose une synthèse critique. Il regroupe les linguistes qui ont abordé le sujet en trois camps : les “défaitistes”, comme Barbaud (1971) et Tournier (1985), qui considèrent qu’un inventaire exhaustif des relations est impossible, les “exhaustivistes”, comme Adams (1973), qui tentent au contraire de faire une liste détaillée des différentes relations rencontrées, et les “macro-taxinomistes”, comme Hatcher (1960), Warren (1978) et Noailly (1990), qui cherchent à réduire la diversité à un nombre minimal d’hyper-relations. Arnaud lui-même fait le grand écart entre ces deux dernières positions, en proposant d’un côté une liste de 55 relations dites “de bas niveau d’abstraction” (2003:64-69, 2004b:354-357), et, de l’autre, une macrotaxinomie de huit hyper-relations, dites “relations de haut niveau d’abstraction” (2003:72-87). Cette dernière recoupe les résultats quadripartites de Hatcher et de Noailly (a-d) et ajoute quatre autres catégories dont les effectifs sont très faibles, mais qui ne peuvent néanmoins être incluses dans les quatre premières :

‘(a). N2 est inclus dans N1 (ex. : keg beer, mountain pass, pulp fiction)
(b). N1 est inclus dans N2 (ex. : palm tree, powder keg, cheesecake)
(c). N1 a pour origine N2 (ex. : pastry chef, musk ox, tear gas)
(d). N2 a pour origine N1 (ex. : seafood, carbon copy, machine translation)
(e). N1 représente une manière d’être de N2 (ex. : sheet metal, minute steak)
(f). N1 complémente N2 par analogie 44 (ex. : bear hug)
(g). N1 symbolise N2 45
(h). N2 symbolise N1 (ex. : question mark, turn signal)’

Certains auteurs vont plus loin en utilisant l’opposition binaire entre composés à accent primaire gauche et composés à accent primaire droit pour ne plus distinguer que deux méga-catégories. Ainsi, Olsen (2000b) oppose les relations sémantiques à interprétation externe (angl. basic relations) aux relations sémantiques à interprétation interne (angl. induced relations), et Huart (2002:27-28) les relations statiques aux relations dyna-miques. Ces deux typologies se recoupent, la relation statique/externe englobant les relations d’identification (“Y is X.”), de localisation (spatiale, temporelle, sociale) et de constitution matérielle (“Y is made of X.”), et la relation dynamique/interne s’appuyant sur une prédication facilement récupérable (soit parce que le composant droit est déverbal, soit parce que le squelette sémantique du composé conduit à une interprétation relativement évidente du lien entre composants) qui peut exprimer la destination ou l’origine. Cette analyse dichotomique est cependant faussée par le fait qu’Olsen et Huart sont toutes deux prisonnières de leur angle d’attaque prosodique (la relation statique/externe correspond à une accentuation droite ou double, la relation dynamique/interne à une accentuation gauche), et cherchent systématiquement à traduire sur le plan sémantique cette opposition accentuelle, ce qui les conduit à proposer des analyses qui ne sont pas toujours pleinement convaincantes :

‘“A CAble car ‘runs by means of’ cable — an induced relation, whereas speakers who say cable NETwork may be conceiving a network ‘made of the material’ cable — a basic relation, somewhat like a silicon CHIP.” (Olsen 2000b:68)’ ‘“[...] d’un côté, Christmas card et Christmas present, qui reçoivent un accent mélodique uniquement sur le premier terme, qui nomme la destination, la raison d’être du référent, et, de l’autre, Christmas holidays, Christmas traffic, avec deux accents mélodiques puisque la qualification par Christmas sert ici à identifier la période de l’année.” (Huart 2002:28)’

Or il est notoire que l’accentuation gauche ou droite d’un composé n’est pas strictement corrélée à son contenu sémantique 46 . En pratique, le lien entre schéma accentuel et schéma sémantique semble donc être surtout utile pour désambiguïser des paires de composés aux signifiants graphiques identiques :

leather tool /201/ : “A tool made of leather.”
leather tool /102/ : “A tool to work on leather.”
toy factory /2100/ : “A factory which is a toy.”
toy factory /1200/ : “A factory which produces toys.”
woman lover /2010/ : “A lover who is a woman.”
woman lover /1020/ : “Someone who loves women.”’
Notes
42.

 Le limule (Limulus polyphemus) n’est pas un crustacé ; c’est un arthropode plus proche de l’araignée et du scorpion que du crabe.

43.

Portemanteau est ici à prendre dans son sens vieilli de “malle penderie” (NPR).

44.

 Arnaud (2003:70-71) justifie l’inclusion de ces composés dans la catégorie des relationnels, et non des analogiques, car ils ne passent pas de manière probante le test “An X.Y is a Y that is like an X.

45.

 Cette relation ne semble pas être attestée en anglais. Arnaud, qui a surtout travaillé sur le français, propose deux catégories, car timbre-taxe, qui illustre le type (g), s’oppose à pierre papier (“Titres de sociétés de placement immobilier.” Arnaud 2003:150), qui, lui, ressortit au type (h).

46.

 Voir supra, 1.1.2.