1.5.2. Approche métasémique de la centricité sémantique

Une autre approche de la centricité sémantique est possible. Le concept semble en effet remonter à Bloomfield (1933:235-236), lequel affirme qu’un composé est endocentrique s’il appartient à la même classe lexicale que son composant-tête, et qu’il est exocentrique dans le cas contraire. Son propos est illustré par le composé bi-adjectival bittersweet : la forme adjectivale est endocentrique, alors que la forme nominale est, elle, exocentrique. Cette approche n’est cependant pas entièrement satisfaisante, et Bloomfield lui-même le reconnaît en précisant que bien que répondant à la définition de l’endocentricité, les composés de type paperback sont exocentriques (sic). Ce paradoxe peut cependant être dépassé si une distinction entre critère nécessaire et critère suffisant est introduite. Si le changement de classe lexicale suffit à déterminer l’exocentricité d’un composé, cela n’en fait pas pour autant un critère nécessaire, car les composés possessifs comme paperback doivent leur caractère exocentrique à l’appli-cation d’un trope métonymique. Pour subsumer ces deux types d’exocentricité, une modification de l’approche bloomfieldienne est donc nécessaire : un composé est exocentrique si peut être établi un lien de type métasémique 74 entre le ou les composants-têtes et le composé. La conversion, c’est-à-dire le changement de classe lexicale d’un lexème sans transformation morphologique de son signifiant (ex. : bitter-sweet Abittersweet N), peut en effet être considérée comme une forme de métasémie, en l’occurrence une métonymisation.Cette approche a l’avantage de rendre possible une analyse unifiée des trois classes lexicales majeures, ce qui n’est pas le cas de l’approche hyponymique, laquelle n’est utilisée que pour le traitement des noms composés. Elle permet ainsi une économie de moyens descriptifs. Cette méthode a cependant l’incon-vénient de ne pas englober la plupart des composés coordinatifs jugés exocentriques d’après l’approche hyponymique (c’est le cas de l’immense majorité des composés additionnels et hybrides, qui ne sont pas métasémiques).

Notes
74.

 Tournier (1993:109) réserve le terme métasémie pour les cas où le changement de sens est indépendant d’un changement de classe lexicale ; je l’utilise pour tout changement de sens de type métaphorique et/ou métonymique, avec ou sans changement de classe lexicale.