3.2. LES COMPOSÉS BINOMINAUX

3.2.1. Problèmes de catégorisation

La frontière entre composition par juxtaposition et composition par amalga-mation n’est pas toujours évidente à tracer. Il est attendu que lorsqu’une des bases ne conserve pas l’intégralité des segments de son signifiant lors du processus de composition, le composé résultant est un amalgame 105 . Des exceptions existent cependant, dans trois cas. Un composé n’est pas amalgamé, mais juxtaposé, quand le composant gauche est une base liée allormorphe d’une base autonome (ex. : Finno- < Finnic, Indo- < India / Indian, sado- < sadism, Serbo- < Serbian, strato- < stratus). Il l’est aussi quand le composant gauche est un troncat (angl. clipping) lexical qui a le même sens que le lexème duquel il est issu : c’est le cas de bull terrier et de bullmastiff (bull < bulldog), de camiknickers (cami < camisole), de oxyhydrogen et de oxyacetylene (oxy- < oxygen), et de polycotton (poly < polyester). Reste le cas singulier de composés comme meningoencephalopathy, gastroenteritis et otolaryngology. Ces substantifs s’analysent de prime abord comme les assemblages d’une base liée (meningo-, gastro-, oto-) et d’une base autonome (encephalopathy, enteritis, laryngology), et ils ont donc l’air de composés subordinatifs, mais cette analyse morphologique est en contradiction avec le sens du composé, qui est clairement coordinatif, car il se construit en associant sur un pied d’égalité le sens des composants meningopathy et encephalopathy, gastritis et enteritis 106 , otology et laryngology. Le mode de contruction de ces composés est ambigu : on peut imaginer que les composés meningoencephalopathy et otolaryngology sont des amalgames obtenus par apocope de la première base-source (meningo pathy encephalopathy > meningoencephalopathy ; oto logy + laryngology > otolaryngology), mais cette analyse n’est pas possible pour gastroenteritis (le segment o médian n’apparaît dans aucune des bases-sources, et il n’y a ici aucune raison d’imaginer qu’il est ajouté pour jouer le rôle de voyelle épenthétique, car gastrenteritis est tout à fait euphonique). Considérer que ces composés sont obtenus par amalgamation semble contre-intuitif, et je fais donc l’hypothèse que leur mode de construction est similaire à l’ellipse (angl. gapping) en morphosyntaxe (ce terme désigne une construction coordinative qui est courante en néerlandais (ex. : land- en tuin.bouw “agri- et horti.culture”, storm- en regenacht.ig “orag- et pluvi.eux”) 107 , et qui est aussi attestée en anglais (ex. : “Survey data indicate no variance in church attendance between blue- and white-collar workers.” BNC : CCL 550)) : le morphème final (-itis, -logy, -pathy) est mis en facteur commun et a une fonction distributive au sein du composé. Je considère in fine que les composés coordinatifs contenant deux bases liées initiales forment un sous-ensemble atypique de composés asyndétiques 108 .

Notes
105.

 Voir infra, 4.2.

106.

 Cette égalité est corroborée par le fait que les paires meningoencephalopathy encephalo-meningopathy et gastroenteritis / enterogastritis sont des synonymes co-répertoriés en termi-nologie médicale (SOMD27).

107.

 Voir Booij (1985).

108.

 Cette analyse peut être étendue à certains composés du français (ex. : sténodactylographesténographe + dactylographe ; typolithographie < typographie + lithographie), de l’italien (ex. : ortofrutticoltura < orticoltura + frutticoltura) et de l’espagnol (taquimecanógrafotaquí-grafo + mecanógrafo).