Chapitre 4 :
LES COMPOSÉS AMALGAMÉS

4.1. TERMINOLOGIE

Les composés constitués à partir de fragments de signifiants d’unités lexicales, comme brunch (< breakfast + lunch) ou smog (< smoke + fog), ont historiquement d’abord été désignés par le terme portmanteau word, un néologisme de Lewis Carroll qui apparaît en 1871 dans son roman Through the Looking-Glass , and What Alice Found There, et dont l’origine repose sur une analogie avec le portemanteau (“A large leather suitcase that opens into two hinged compartments.” AHD4). Ce type de construction est attesté bien avant la fin du dix-neuvième siècle — le plus ancien amalgame du corpus d’étude est très probablement witticism (< witty + criticism), un substantif qui, d’après le New Oxford Dictionary of English (= NODE), a été forgé en 1677 par le poète anglais John Dryden —, mais c’est à Carroll que l’on doit la création d’un terme spécifique, ainsi que la première réflexion linguistique sur le phénomène, dans la préface de The Hunting of the Snark (1876) :

En anglais, le terme portmanteau word a aujourd’hui été presque totalement supplanté par blend dans la littérature spécialisée, et le processus lexicogénique correspondant est généralement appelé blending 142 . En français, la situation est plus contrastée : le terme mot-valise a les faveurs des francisants, mais les anglicistes parlent, eux, plus volontiers d’amalgame. Quant à la désignation du processus, il y a foison de dénominations originales : Guilbert (1975:246) et Kocourek (1991:160-161) parlent d’acronymie 143 , Grésillon (1984:39) d’imbrication, Clas (1987:347) de brachygraphie gigogne, Pottier (1992:50, 2001:122) de mixonymie, Tournier (1998:176) d’emboîtement, Paillard (2000:82) de télescopage et Bassac (2004:173) de processus de construction par association et troncation 144 . Les anglicistes utilisent aussi le terme amalgame (Tournier 1985:130, Paillard 2000:48), mais dans un souci de clarté, je lui substitue le substantif amalgamation 145 , qui évite toute ambiguïté référentielle entre le processus et l’objet résultant de celui-ci.

En anglais, les fragments de signifiants d’unités lexicales qui composent l’amalgame, tels br ou unch, sont généralement appelés splinters, un terme qui remonte à Berman (1961:278) 146 . Les unités lexicales impliquées dans la construction de l’amalgame sont, elles, ordinairement appelées source-words. En français, Tournier (1985:130, 136) parle respectivement d’élément d’amalgame et d’élément constituant de l’amalgame. Ce choix est peu heureux, car susceptible de prêter à confusion. Je préfère donc forger de nouveaux termes, et parlerai de fracto-base 147 pour désigner tout élément tronqué non institutionnalisé qui représente un lexème à l’intérieur d’un composé amalgamé 148 , et de base-source pour désigner le lexème que la fracto-base représente au sein de l’amalgame.

Notes
142.

 Pour une étude historique des différents termes utilisés dans la littérature spécialisée, voir Cannon (1986:727-729) pour l’anglais et Grésillon (1984:5-12) pour le français.

143.

 Le terme acronyme ne désigne pas seulement un sigle prononcé comme un mot ordinaire ; du fait de son étymologie (acro- vient du grec akros, “qui est à l’extrémité”), il est aussi parfois utilisé comme synonyme d’amalgame. C’est aussi le cas du terme acrónimo en espagnol (Bessé, Nkwenti-Azeh & Sager 1997:119, 123 ; Casado Velarde 1999:5085).

144.

 “Processus de construction par association et troncation” n’est pas à proprement parler un terme, mais plutôt un syntagme descriptif.

145.

 En anglais, amalgamation est fugitivement utilisé comme synonyme de blending par Plag (2003:13).

146.

 Le terme splinter est aussi utilisé pour désigner les morphèmes de type -holic (Bauer 2004:95-96). Voir infra, 4.2.3., pour une discussion sur ces éléments.

147.

 Ce terme ne doit pas être confondu avec fracto-morphème, qui est utilisé par Tournier (1985:86) pour désigner les éléments de type -holic et -gate.

148.

 Voir infra, 4.2.3, pour une discussion de cette définition.