5.4. APPROCHE COGNITIVE DES INTERACTIONS ENTRE CONTRAINTES

Les contraintes sémantiques et phonologiques décrites ci-dessus se retrouvent dans plusieurs langues typologiquement variées : en basque, les composés asyndétiques se conforment à la contrainte de longueur en syllabes 216 et aux contraintes sémantiques de proximité, de supériorité et d’antériorité (Jacobsen 1982) ; en polonais, les composés syndétiques obéissent aux mêmes règles sémantiques et phonologiques qu’en anglais (Szpyra 1983) ; en hongrois, les composés syndétiques et asyndétiques respectent les contraintes phonologiques de longueur en syllabes, de qualité vocalique et de complexité consonantique initiale, ainsi que les contraintes sémantiques citées pour l’anglais (Pordány 1986) ; en hindi, les contraintes de proximité et de supériorité, ainsi que les contraintes de longueur en syllabes et de complexité consonantique initiale sont opérantes (Shukla 2001:108-109). Ces données conduisent à postuler que des contraintes cognitives générales sont à l’œuvre. Pour la proximité et la supériorité, l’explication tient probablement à l’existence d’universaux cognitifs, et pour l’antériorité, son origine réside dans la force iconique de la contrainte chrono-linéaire. Quant aux contraintes phonologiques, Cooper et Ross (1975:80), Birdsong (1979) 217 et Allan (1987) soulignent qu’elles vont toutes dans le même sens, à savoir une amplification de l’opposition entre un premier élément structurellement simple, bref, léger, et un second plus complexe, plus long, plus lourd. Une explication cognitiviste, avancée par Cooper et Ross (1975:92), Sobkowiak (1993:412), Birdsong (1995:35) et Cooper et Klouda (1995:339), va plus loin en liant contraintes sémantiques et con-traintes phonologiques, soulignant qu’elles conduisent toutes deux à privilégier en première position l’élément cognitivement, informationnellement plus léger 218 . Le traitement de l’information est facilité, et donc optimisé, si l’organisation du discours suit le principe qui veut que l’information soit répartie asymétriquement, de manière à faire alterner les éléments lourds et les éléments légers à traiter. Ce principe général dépasse le simple ordonnancement d’éléments coordonnés. Il a une portée globale, et est à étendre à l’ensemble de la grammaire, comme le montrent les travaux de Hawkins (1994, 2004).

Notes
216.

 Jacobsen (1982:393-394) note qu’en basque, la contrainte de longueur en syllabes joue aussi un rôle sémantique. Son respect favorise une lecture coordinative du composé, son non-respect une lecture subordinative de la relation entre composants (ex. : gizon-emakume.ak “homme-femme.PL = hommes et femmes” vs emakume-gizon.ak “femme-homme.PL = hommes à femmes”.

217.

 Cité par Birdsong (1995:35).

218.

 On peut y ajouter la contrainte de fréquence, car les psycholinguistes soulignent que l’acces-sibilité d’un mot est corrélée à sa fréquence (Babin 1998:20-24, Le Ny 2005:144-147).