7.3. LE CAS PARTICULIER DE L’AMALGAMATION

L’amalgamation est une structure dont la probabilité de génération est sensible à des considérations sémantiques et phonologiques spécifiques. Alors que la structure asyndétique semble préférée quand, cas rare, l’hybridité d’un animal est uniquement perceptuelle (ex. : bear cat, troutperch), la structure amalgamée est, elle, quasi-obligatoire dans le cas général, c’est-à-dire quand l’hybridation perceptuelle a pour cause une hybridation génétique :

beefalo

Braford

Brangus

cattalo

Charbray

chuman
/ humanzee

cockapoo

coydog

geep / shoat

jackalope

leopon

liger

Morab

peekapoo

quarab

siabon

tiglon / tigon

yakow

zebrass

zedonk / zonkey

La seule exception relevée est wolf dog, ce qui donne une validité statistique au constat ( (1) = 9,98 ; p ≤ 0,01). Cas plus marginal, l’amalgamation est aussi, semble-t-il, l’unique forme de composition retenue pour les toponymes dont le denotatum est un lieu situé à la frontière de plusieurs territoires (ex. : Mexicali, Calexico, Delmar, Marydel, Delmarva, Texarkana).

Des facteurs non sémantiques jouent aussi un rôle dans le choix de la structure amalgamée. Comme signalé au Chapitre 4, plusieurs pressions peuvent conduire à privilégier l’amalgamation. La pression euphonique a pour but d’éviter la juxtaposition de suites segmentales identiques ou quasi-identiques, lesquelles disparaissent soit par haplologie simple (ex. : glass + asphalt > glasphalt, tragic + comic > tragicomic, yakcow > yakow), soit via des schémas de troncation plus élaborés (ex. : broccolicauliflower > broccoflower, bulimia + anorexia > bulimarexia, potato + tomatopomato) ; elle conduit aussi à la construction par bi-apocope de fracto-bases équisyllabiques, dans le but d’obtenir un signifiant à la prégnance remarquable, caractérisé par une homophonie, une apophonie ou une rime interne :

fenfluramine hydrochloride + phentermine > fen-phen
Mexico + California > Mexicali
mimicry + memorization > mim-mem
roll-on roll-off > ro-ro
Texan + Mexican > Tex-Mex

La pression brachygraphique se manifeste, elle, par une volonté de raccourcir des composés qui seraient excessivement longs : les composés asyndétiques les plus longs du corpus sont hexasyllabiques (ex. : merchant adventurer, radio-phonograph, toxin-antitoxin) 236 , et au-delà de ce seuil, il semble que l’amalgamation devienne la norme :

fenfluramine hydrochloride + phentermine (11 syllabes) > fen-phen (2 syllabes)
obstetrician + gynecologist (10) > ob-gyn (2)
ammonium + trinitrotoluene (10) > amatol (3)
cafeteria + auditorium (10) > cafetorium (5)
modulator + demodulator (9) > modem (2)
documentary + entertainment (9) > docutainment (4)
Jacobean + Elizabethan (9) > Jacobethan (4)
cooperation + competition (9) > coopetition (5)
bulimia + anorexia (9) > bulimarexia (6)’

La double apocope est un schéma de troncation parfaitement adapté à la pression brachygraphique, car elle fonctionne généralement par réduction des bases-sources à des fracto-bases monosyllabiques, ce qui donne naissance à un amalgame disyllabique (modem, ob-gyn, fen-phen), soit une réduction massive, d’environ 80 %, du signifiant.

Plus largement, la probabilité du choix de la structure amalgamée semble corrélée au degré de félicité de l’amalgame, c’est-à-dire au degré d’harmonie de la combinaison des contraintes de similitude et de troncation minimale. La félicité peut être matérialisée en comparant les squelettes phonologiques des deux bases-sources ; un amalgame construit par apocope-aphérèse est optimal (c’est-à-dire atteint un degré maximal de félicité) si les squelettes des bases-sources partagent :

‘- un même nombre de syllabes
- un même schéma accentuel
- une même structure syllabique au niveau de tout ou partie des bases-sources
- un nombre maximal de segments identiques et/ou proches 237 .’

Si une identité entre les bases-sources peut être établie à plusieurs de ces niveaux, la probabilité de voir apparaître une structure amalgamée semble élevée, comme l’illustrent les paires de bases-sources suivantes :

‘- melt & weld : monosyllabes de structure C1VC2C3, avec une séquence bisegmen-tale médiane VC2 identique et un segment final C3 occlusif et alvéolaire, soit la suite elCO-A’ ‘- doodle & riddle : disyllabes paroxytons de structure C1V.C2C3, avec une séquence bisegmentale finale C2C3 identique, /dl/’ ‘- tootle & poodle : disyllabes paroxytons de structure C1V.C2C3, avec une séquence bisegmentale discontinue V—C3 identique et un segment médian C2 occlusif et alvéolaire, soit la suite /CuːCO-Al/’ ‘- semantics & syntax : paroxytons à structure finale identique (C1V1C2 .C3V2C4C5), avec une séquence quadrisegmentale discontinue C2C3—C4C5 identique, /nt—ks/’ ‘- compressor & expander : trisyllabes paroxytons, avec une séquence bisegmen-tale discontinue identique, /p—ɚ/’ ‘- stagnation & inflation : trisyllabes paroxytons avec une séquence trisegmentale finale identique, /eɪʃn/’ ‘- transmitter & receiver : trisyllabes paroxytons à structure finale identique (C1V1.C2V2), avec un segment final V2 identique, /ɚ/’ ‘- potato & tomato : trisyllabes paroxytons de structure C1V1.C2V2.C3V3, avec une séquence quadrisegmentale discontinue V1—V2C3V3 identique, /oʊ—eɪtoʊ/’ ‘- cafeteria & auditorium : pentasyllabes proparoxytons à structure syllabique médiane identique (V1.C1V2.C2V3.C3V4.V5), avec une séquence trisegmentale discontinue C2—C3V4 identique, /t—rɪ/.’
Notes
236.

 Le substantif oxidation-reduction est heptasyllabique, mais il n’est pas retenu ici, car il a pour variante courante l’amalgame disyllabique redox.

237.

 Par segments proches, j’entends ici deux consonnes partageant le même mode et le même lieu d’articulation.