CONCLUSION

Ce travail avait pour but de faire sortir de l’ombre une catégorie sous-estimée de mots composés anglais, les composés coordinatifs. Le travail a d’abord porté sur une définition du concept, étroitement liée à une typologie sémantique. Le caractère coordinatif d’un composé est attesté par son appartenance à l’un des sous-ensembles sémantiques constitutifs de la classe, fondée sur la conformité à un énoncé-test :

‘- pour les substantifs, trois catégories sémantiques majeures sont distinguées : les composés polyvalents (“(An) X=Y is (an) X who/which is also (a) Y.”), les composés hybrides (“(An) X=Y is a blend/hybrid/mixture of (an) X and (a) Y.”) et les composés additionnels (“(An) X=Y is (an) X plus (a) Y.”).’ ‘- pour les adjectifs, deux catégories majeures sont distinguées : les composés addi-tionnels (“To be X=Y is to be X and to be Y.”) et les composés hybrides (“To be X=Y is to be about midway between X and Y.”).’ ‘- pour les verbes, deux catégories majeures sont distinguées : les composés simultanés (“To X=Y means to X and to Y at the same time.”) et les composés asimultanés (“To X=Y means to X and then to Y.”).’

La place des unités coordinatives au sein de la classe des mots composés a été réévaluée en mettant en avant le fait que les deux relations sémantiques constitutives de tout composé sont la relation composant-composant (qui est soit coordinative, soit subordinative) et la relation composants-composé (qui est soit endocentrique, soit exocentrique), et en proposant par voie de conséquence une typologie sémantique quaternaire, applicable à chacune des trois classes lexicales majeures. Le travail a ensuite porté sur la constitution, la description et l’analyse de trois sous-corpus rassemblant au total 582 composés lexicaux. Le nombre fait la richesse et permet des extrapolations statistiquement significatives, ce qui autorise, en conclusion, à dresser un portrait prototypiste des trois catégories sémantiques de composition plurinominale :

‘- un composé coordinatif polyvalent est typiquement asyndétique, pluricentrique, non métasémique, co-référentiel, et désigne une entité concrète.’ ‘- un composé coordinatif hybride est typiquement amalgamé, exocentrique, non métasémique, co-référentiel, et désigne une entité concrète.’ ‘- un composé coordinatif additionnel est typiquement syndétique, exocentrique, métasémique, non co-référentiel, et désigne une entité abstraite.’

Ce travail se veut un nouveau jalon dans le domaine de la composition coordi-native, et l’exploration se doit d’être poursuivie. Le recours à des expériences de phonétique de laboratoire permettrait par exemple d’étendre les connaissances sur deux points mentionnés aux Chapitres 1 et 6, à savoir la réalisation du coordonnant en position intermédiaire dans les composés coordinatifs syndétiques lexicaux et le schéma accentuel des composés asyndétiques. Plus largement, une approche contrastive serait sans aucun doute fructueuse. Une comparaison avec le français constituerait un premier prolongement naturel du travail accompli. Même si cette langue semble intuitivement moins portée vers la composition coordinative que l’anglais, le Tableau 29 montre que les grands types formels y sont tous attestés :

Tableau 29 Typologie formelle de la composition coordinative en français
Composés lexicaux syndétiques asyndétiques amalgamés
N=N chaud et froid,
son et lumière
moissonneuse-batteuse,
gomme-résine, railroute
foultitude
(< foule + multitude)
A=A noir et blanc chaud-froid N,
clair-obscur N
héroïcomique
(< héroïque + comique)
V=V va-et-vient N,
lève-et-baisse N 238
entre-sort N 239 ,
chantepleure N 240
tripatouiller
(< tripoter + patouiller)

De même, les grilles de lecture sémantique proposées pour l’anglais sont applicables au français : moissonneuse-batteuse et analyste-programmeur sont des substantifs polyva-lents, gomme-résine et jaguarion (< jaguar + lion) des substantifs hybrides, recherche-développement et railroute des substantifs additionnels ; nivopluvial et noir et blanc sont des adjectifs additionnels et bleu-vert un adjectif hybride ; va-et-vient et entre-sort sont des composés déverbaux asimultanés et chantepleure un déverbal simultané. Des divergences apparaissent néanmoins entre les deux langues : le français n’admet pas la création d’adjectifs binationaux sans transformation du premier élément en base non au-tonome (*français-américain > franco-américain), alors que l’anglais produit French-American aussi bien que Franco-American ; autre illustration, le français préfère les constructions asyndétiques (ex. : épaulé-jeté, gin tonic, recherche-développement) quand l’anglais privilégie les constructions syndétiques (ex. : clean and jerk, gin and tonic, research and development). Ces remarques laissent à penser que chaque langue possède sa propre grammaire de la composition coordinative. La tâche qui attend les linguistes est donc immense.

Notes
238.

 “Mécanique d’armures servant à lever et à abaisser les lames du métier à tisser.” (TLFi)

239.

 “Baraque foraine dans laquelle on expose des monstres.” (TLFi)

240.

 “1. Entonnoir à long tuyau percé de trous — Robinet de tonneau. 2. Fente pratiquée dans un mur de clôture ou de soutènement pour l’écoulement des eaux.” (NPR)