II.3. Typologie des erreurs

Parmi la multitude des typologies d’erreurs proposées par les didacticiens, nous avons retenu, d’une part, celle de J.P.Astolfi (2003) qui rend compte de la diversité de facteurs susceptibles de produire des erreurs, et, d’autre part, celle de W. Edmonson & J.House, qui se réfèrent plutôt aux processus cognitifs et aux stratégies d’apprenants lorsque ceux-ci sont confrontés aux erreurs.

J.P.Astolfi distingue les types d’erreurs suivantes :

1. Des erreurs relevant de la compréhension des consignes de travail données

Dans la situation d’enseignement, un « supposé savoir » questionne un « supposé ne pas savoir », d’où la direction inversée insolite du questionnement, source importante d’erreurs involontairement et inconsciemment suscitées ; il faudrait dans ce cas veiller à susciter la production d’erreurs « programmées », révélatrices des conceptions initiales des élèves, dont le traitement s’avérera productif dans la construction des savoirs et des compétences d’apprenant. Dans l’analyse des consignes données aux élèves, les verbes d’action ( analyser, expliquer, interpréter, conclure ), ainsi que les mots de la langue courante utilisés dans des sens particuliers par chaque discipline (par exemple : accord, direct, fonction, réfléchi, relatif, voix  …) constituent des sources de problèmes. Pour prévenir ce genre d’erreurs, on pourrait, d’une part, donner des consignes en termes d’actions concrètes, tout en précisant les conditions de réalisation de la tâche et les résultats (mesurables) attendus ; d’autre part, un cadrage serait nécessaire pour comprendre l’emploi des mots courants dans le champ des différentes disciplines.

2. Des erreurs résultant d’habitudes scolaires ou d’un mauvais décodage des attentes

De façon sociologique, Ph.Perrenoud parle d’un «  métier d’élève  » , grâce auquel se trouvent décodées les attentes, parfois implicites, du maître. Bien des erreurs proviennent donc des difficultés des élèves à décoder les implicites de la situation. En même temps, les habitudes scolaires (les enseignements antérieurement dispensés) produisent des constructions erronées mais assez cohérentes par rapport à des règles connues, surgénéralisées. Ce genre d’obstacles didactiques n’est pas entièrement évitable.

3. Des erreurs témoignant des conceptions alternatives des élèves

Comme nous l’avons déjà montré, les représentations des élèves sont assez résistantes aux efforts d’enseignement. Comprendre leur progressive transformation au cours du développement est indispensable pour modifier le statut que l’on donne à certaines erreurs des élèves. Premièrement, une prise en compte didactique des représentations des apprenants serait fort utile ; deuxièmement, il serait nécessaire de rechercher la signification de ce qui est exprimé et si possible des conceptions sous-jacentes, de les faire identifier, comparer, discuter par les apprenants mêmes, de les suivre dans leur évolution. Les stratégies que l’on pourrait utiliser sont : provoquer des contradictions apparentes, travailler les métaphores, discuter sur des analogies, mettre en place des jeux de rôles.

4. Des erreurs liées aux opérations intellectuelles impliquées

Il s’agit dans ce cas d’opérations qui ne sont pas encore disponibles chez les apprenants, mais qui sont « naturelles » pour l’enseignant (par exemple, les opérations impliquées dans l’apprentissage de la lecture); il faudrait se centrer sur le contenu et ses difficultés intrinsèques et considérer le « sujet didactique » plutôt que le « sujet psychologique » que représente l’élève.

5. Des erreurs portant sur les démarches adoptées

Une démarche susceptible d’induire des erreurs est celle où l’enseignant posant une question s’attend à une réponse bien précise, qui représente en fait la « solution du maître », encore inaccessible aux élèves. Il vaut mieux permettre aux apprenants d’exprimer leurs propositions collectivement, car elles sont plus proches entre elles qu’elles ne le sont de la solution de l’enseignant : c’est ce qui fait la force du travail en commun des élèves, ainsi que le jeu des interactions ou les conflits socio-cognitifs, générateurs de progrès intellectuels.

6. Des erreurs dues à une surcharge cognitive

La mémoire n’étant pas un système passif, elle se situe au cœur même des apprentissages « intelligents ». La charge cognitive d’une activité est souvent sous-estimée, l’inflation des notions scolaires ayant des effets sur les erreurs, les confusions, les oublis. La solution passerait dans ce cas par les centrations successives sur des sous-tâches, qui seraient plus facilement gérables en mémoire de travail.

7. Des erreurs ayant leur origine dans une autre discipline

Le transfert de compétences d’une discipline à l’autre se trouve parfois à l’origine des erreurs ; cependant il n’est pas naturel comme il en a l’air. Il n’a rien de spontané et on ne peut pas compter dessus comme sur un « prérequis » disponible. Il faut contrôler le transfert par une attitude a priori et un travail permanent de médiation, sans oublier le contrôle métacognitif de son activité par l’élève qui doit être en mesure de pratiquer un travail de changement de cadre et d’expérimentation personnelle.

8. Des erreurs causées par la complexité propre du contenu

Les deux pôles de la communication didactique – les enseignants et les apprenants - ne disposent pas du même cadre de référence, ne partagent pas la même logique, n’emploient pas les mêmes concepts, d’où l’écart entre les contenus (plus conformes à l’état actuel des disciplines) que cherchent à diffuser les enseignants et ceux que mobilisent en acte les élèves.

La recherche de nouveaux moyens d’enseigner plus efficacement des contenus donnés à l’avance et intangibles, autrement dit de « mieux faire passer les choses » est aujourd’hui remise en cause. D’une part, les contenus à enseigner devraient faire l’objet d’investigations didactiques approfondies, car au début de tout apprentissage il y a une rencontre avec les « codes des savoirs », ce qui désigne pour D.Descomps une «  zone trouble, de refus, de blocages qui déterminent apathie ou violence : l’une des plus difficiles d’accès pour le pédagogue, centrale dans le thème de l’erreur et de l’échec.  » (D.Descomps, 1999 :45). Dans cette zone où l’apprenant s’efforce de répondre aux « signes » que lui font les codes, l’erreur ne doit pas être dite par rapport au point de référence des savoirs codifiés au programme, mais par rapport au sujet apprenant lui-même : a-t-il investi toutes les compétences qu’il maîtrise déjà, en termes de savoirs, savoir-faire, savoir-apprendre, savoir-être ?

La typologie des erreurs proposée par Edmonson & House (1993) prend un tout autre aspect, plus orienté vers le fonctionnement mental et les stratégies cognitives du sujet. L’apprenant se trouve pratiquement en permanence face à un discours pédagogique (ou social) dont de nombreux termes lui sont inconnus ; il doit compenser ces « blancs » par des opérations mentales adéquates, comme, par exemple, prendre des indices du contexte, associer, comparer, faire des hypothèses, déduire ou inférer, vérifier les hypothèses, discriminer, abstraire, conceptualiser, mémoriser, communiquer, anticiper sur les attitudes mentales et les tâches à accomplir : tout cela représente des compétences d’apprenant ou des outils pour construire des savoirs.

Les erreurs qui peuvent apparaître dans ce contexte sont soit commises avec la certitude d’avoir raison, soit non commises parce que parmi deux hypothèses l’apprenant a choisi par hasard la bonne, ou bien parce qu’il a renoncé à utiliser une structure qu’il ne connaissait pas bien ; il y a aussi des erreurs invisibles, où les séquences produites sont correctes, mais elles ne correspondent pas à l’intention locutoire du sujet, ainsi que des erreurs tolérables en fonction des priorités communicatives ; certaines erreurs sont inévitables du fait du manque de connaissances dans tel ou tel stade d’acquisition ; enfin, il faut rappeler les erreurs qu’on fait pour tester des hypothèses, ce qui implique le développement de compétences de savoir-être de la part de l’apprenant : accepter de se tromper seul ou devant les autres, reconnaître son erreur et repartir sur de nouvelles pistes.