Le 3 décembre 1985, les Québécois découvrent, par voie de presse 1 , que leur « vieille ville » compte parmi les biens du patrimoine mondial 2 . Bien que fiers de cette annonce, ils ne tardent pas à formuler des questionnements sur les implications d’une inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Dix ans plus tard à Lyon, un phénomène similaire se produit. Même si l’ambition de figurer sur la Liste du patrimoine mondial est affichée dans le Plan de mandat de Raymond Barre 3 , la surprise et la réaction des Lyonnais, lorsqu’ils apprennent l’inscription du « site historique de Lyon » sur la Liste, sont similaires à celles des Québécois. De fait, un sentiment de fierté mêlé à des interrogations sur la procédure, sur les conséquences et sur les obligations qu’elle entraîne émergent. Les questions « Comment l’Unesco s’est-elle intéressée à notre ville ? » et « Qu’est-ce qui intéresse l’Unesco dans notre patrimoine ? », maintes fois entendues à Lyon en 1999 et présentes dans les discussions à Québec en 1986, ont retenu notre attention. Elles reflètent en effet, d’abord, l’idée d’un don de l’Unesco et, ensuite, une rupture dans les représentations locales du patrimoine et, plus généralement, de la ville. Ce don, rapidement assimilé à un label international, est rapidement intégré dans une rhétorique sur l’internationalisation des villes comme en témoignent les citations suivantes :
‘« Le seul effet visible de l’inscription de Québec sur cette prestigieuse liste est le changement du discours dans la promotion touristique. La mention « ville du patrimoine mondial » a surclassé tous les descripteurs utilisés auparavant. Cela montre bien que la Liste du patrimoine mondial est avant tout perçue comme un « label », une étiquette de qualité. » 4 ’ ‘« Aujourd’hui, c’est un organisme international, reconnu et incontestable, l’Unesco, qui atteste de la valeur du Site historique de Lyon et qui, en quelque sorte, la « valide ». Cette reconnaissance officielle doit être un argument, un point d’appui de la démonstration que Lyon doit mettre en œuvre pour convaincre du bien fondé de ses ambitions nationales et internationales. » 5 ’Comprendre comment les inscriptions sur la Liste du patrimoine mondial apparaissent comme des ruptures dans les représentations locales du patrimoine urbain et de la ville nécessite de s’intéresser à la procédure même d’inscription et donc à la quête d’un label international. La Liste du patrimoine mondial, en visant à l’identification, au recensement et à la protection des éléments, naturels et culturels, « authentiques », de « valeur exceptionnelle universelle » 6 et représentant une importance pour l’humanité, pourrait constituer l’élément déclencheur d’une rupture dans les perceptions locales du patrimoine en tant qu’objet de valorisation des villes, ainsi que dans celles de l’Unesco. La fabrique de cette Liste s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, dite Convention du patrimoine mondial 7 . L’inscription sur la Liste, assimilée au plan local à une « reconnaissance officielle », semblerait donc correspondre, selon la lecture des Lyonnais et des Québécois, à un avantage donné à leur ville par une organisation située au-delà des Etats, sans qu’élites municipales ou représentants nationaux ne soient intervenus pour l’obtenir.
Mieux, les municipalités urbaines ayant bénéficié de ce que leurs élites saisissent comme une faveur internationale s’organisent dans le cadre de l’Organisation des villes du patrimoine mondial (Ovpm). La municipalité de Québec participe amplement à la création de cette organisation et son homologue lyonnaise y adhère dès 2000. Pensée en lien avec la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial et en collaboration avec l’Unesco, l’Ovpm engendre rapidement l’auto-qualification de ses adhérents par l’expression « ville du patrimoine mondial » 8 . Elle autorise donc la présentation de la Liste du patrimoine mondial comme label international et participe à la diffusion d’un tel usage. Bien plus, elle permet et promeut la diffusion de modèles de communication, de valorisation et, partant, de gestion du label international. Forte de deux cent huit municipalités urbaines, l’Ovpm vise à faciliter les connexions et les échanges entre ses adhérents, à promouvoir les territoires urbains labellisés ou encore à impulser des dynamiques liées à la gestion du label patrimoine mondial au sein des villes adhérentes 9 . L’activité des villes par rapport au patrimoine mondial se traduit ainsi d’abord par la promotion de leur site, en se référant systématiquement à « la reconnaissance internationale dont bénéficie la ville » 10 . Elle se décline ensuite en grande partie par leur adhésion à l’Ovpm et leur participation à la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, donc à leur implication dans des activités pensées au-delà des frontières nationales. Ces implications municipales, résultat d’un travail politique impliquant différentes scènes, invite alors à s’interroger sur leurs conséquences, notamment en termes d’effets dans les pratiques urbaines. Elles constituent donc un bon observatoire pour regarder comment le transnational peut devenir une ressource ou une contrainte pour des municipalités urbaines.
de Courval (Michel), « Québec – joyau du patrimoine mondial », communiqué de presse, Parcs Canada, décembre 1985.
Selon l’expression consacrée par la Convention du patrimoine mondial et les textes officiels de l’Unesco.
Ville de Lyon, Plan de mandat 1995-2001, 1995.
Propos de Luc Noppen, universitaire québécois, spécialiste de l’architecture, lors du Colloque international des villes du patrimoine mondial, organisé à Québec du 30 juin au 4 juillet 1991[Noppen (Luc), « Villes du patrimoine mondial : enjeux et potentiels », dans Ville de Québec, Actes du premier Colloque international des villes du patrimoine mondial. La sauvegarde des ensembles historiques urbains en période d’évolution, Québec, Canada, 30 juin – 4 juillet 1991, p. 447- 452, p. 447].
Extrait de l’appel d’offre de la Ville de Lyon « Communication et développement de l’image de Lyon suite à l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité » – 1er trimestre 1999.
Il s’agit de la définition officielle établie par Unesco, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Stockholm, 1972.
Idem.
La définition des villes du patrimoine mondial et celle des caractéristiques nécessaires pour adhérer à l’Ovpm sont l’objet de débats durant les trois premières rencontres de ces villes. Ces définitions peinent à être stabilisées, voir par exemple l’intervention du Vice-Président de l’Icomos en 1995 : Roman (Andras), « Why only cities ? », dans Ovpm, Actes du 3 ème colloque des villes du patrimoine mondial, « La communication. Comment communiquer et échanger des connaissances, en tenant compte des diversités culturelles et linguistiques et des particularités régionales », Bergen, 28-30 juin 1995, p. 50-52.
Voir le site internet de l’organisation (www.ovpm.org) ainsi que les Actes de ses colloques.
Entretien avec Régis Neyret, 18 janvier 2001.