Les premiers travaux cherchant à saisir l’articulation entre villes et international sont anglo-saxons et apparaissent au cours des années quatre-vingt. Bien qu’ils soient d’un apport heuristique très relatif pour notre travail, le vif intérêt qu’ils ont d’abord suscité invite à rappeler brièvement leurs principales conclusions ainsi que quelques-unes de leurs limites épistémologiques. A partir d’une approche principalement macrosociologique, ces travaux tentent de caractériser cette articulation en s’appuyant sur la position des global cities dans « l’économie monde » ou dans le « système monde » 14 . Selon ce courant de recherche, un profond bouleversement de la hiérarchie des villes assumant les fonctions directrices de l’économie mondiale aurait eu lieu suite à un déplacement de capital depuis les principaux centres industriels vers les grandes places financières. Rejoignant en partie les interrogations posées par le champ des relations internationales, ces travaux s’intéressent d’abord à la définition d’un « acteur international » 15 . Ils envisagent donc une ville comme un centre assumant le contrôle de fonctions de direction économique et minorent largement le fait qu’elle puisse être définie comme un lieu traversé par de multiples relations d’échanges. En outre, le déterminisme économique qui sous-tend l’ensemble de ce courant de recherche engendre une lecture endogène des phénomènes économiques. Dès lors, ces travaux, tout en considérant la ville comme une entité politique, remettent en cause l’autonomie du politique et ne prêtent d’attention ni aux Etats ou aux institutions nationales, ni aux municipalités, ni aux relations entre ces différentes scènes et à leurs conséquences dans les évolutions économiques et politiques. De fait, ils ne caractérisent pas l’espace dans lequel ces relations prennent place. Ces travaux ne permettent donc pas de comprendre comment des enjeux internationaux sont produits dans le gouvernement des villes 16 , ni comment des stratégies internationales peuvent être élaborées au plan local. Ils constituent toutefois, aujourd’hui encore, une source de réflexion régulièrement mobilisée par des travaux de recherche portant sur cette thématique.
Un second courant de recherche, consacré plus directement à l’internationalisation des agglomérations urbaines, est apparu au tournant de la décennie quatre-vingt-dix autour des travaux du New international cities era (NICE) 17 et constitue une manière objectivante d’appréhender cette internationalisation des villes. L’idée directrice animant ces auteurs repose sur l’évaluation d’une série de critères et d’indicateurs empiriques susceptibles de mesurer le « degré d’internationalité » d’une municipalité. Il ne s’agit donc pas d’étudier comment les municipalités urbaines agissent à l’échelle internationale. Ces auteurs proposent plutôt d’atteindre un idéal-type, grâce à l’établissement d’un système d’équilibre entre les représentants politiques et des acteurs économiques. Selon eux, il serait ainsi devenu essentiel d’établir des actions urbaines visant à accroître l’attractivité des villes et à développer leur paradiplomatie, présentée comme indispensable aux villes souhaitant jouer un rôle au plan international 18 , et comme un facteur de rayonnement international dans la compétition urbaine 19 . Certains insistent sur la nécessité pour les villes de s’organiser de façon collective à travers des réseaux, qui deviendraient alors « le meilleur instrument pour rejoindre un système [l’international] tendant lui-même à fonctionner comme un réseau » 20 . Autrement dit, ces travaux universitaires appréhendent le rayonnement international comme une nouvelle donne à laquelle il serait nécessaire d’adapter les villes. Ils sont toutefois assez sévèrement critiqués, notamment parce qu’ils apportent peu d’éléments sur les raisons qui confèrent aux « critères d’internationalité » identifiés une importance particulière 21 . Ces critères, en s’imposant de fait comme des normes, rendent ces travaux finalement assez prescriptifs. Quelques auteurs ont, d’ailleurs depuis, montré le lien entre ces écrits universitaires et le développement d’actions urbaines visant une plus grande lisibilité internationale de ville, ainsi que le rôle de ces universitaires dans la constitution de l’internationalisation comme principe de définition des enjeux urbains 22 . Enfin, ces travaux ne questionnent que très peu, d’un point de vue empirique, la production concrète de politiques ou de stratégies d’internationalisation au sein des villes. Ils postulent que l’international est un acteur face auquel les villes, entités qu’ils définissent d’ailleurs peu, devraient agir de façon obligatoire. Ces travaux donnent à voir, en filigrane, un rapport de force entre villes et international. En indiquant, voire en constituant, l’un des foyers d’impulsion de stratégies de rayonnement international, ils présentent toutefois, comme le rappelle Antoine Vion, un intérêt pour la compréhension historique du rôle que jouent certains acteurs organisés sur un mode professionnel 23 (cf. infra).
Relèvent de ce courant de recherche (sans toutefois prétendre à l’exhaustivité), Friedman (John), Wolff (Goetz.), « World city formation : an agenda for research and action », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 6, n° 3, 1982, p. 309-344 ; Jessop (Bob), « Towards a schumpeterian workfare state? Prelaminary remarks on post-fordist political economy », Studies in political economy, n° 40, 1993, p.7-39 ; Meyer (David R), « The world system of cities : relations between international financial metropolises and South American cities », Social Forces, vol. 64, n° 3, 1986, p. 553-581 ; King (Anthony D), Global cities : post-imperialism and the internationalization of London, Routledge, Londres, 1990 ; Beauregard (Robert A), « Capital restructuring and the new built environment of global cities : New York and Los Angeles », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 15, n° 1, 1991, p. 90-105 ; Sassen (Saskia), The global city. New York, London, Tokyo, Princeton University Press, 1991 ; Sassen (Saskia), Cities in a world economy, Fine Forge Press, Thousand Oaks, 1994 ; Knox (Paul L), Taylor (Peter J), World cities in a world system, Cambridge, University Press, 1995.
Sur cette notion, voir Devin (Guillaume), Sociologie des relations internationales, Paris, La Découverte, 2002 et Macleod (Alex), Dufault (Evelyne), Dufour (F. Guillaume), Relations Internationales. Théories et concepts, Outremont, Athena Editions, coédition CEPES, 2002.
Voir les critiques de ces travaux proposées par JR Short, Y Kim, M. Kuus et H. Wells ou par Antoine Vion : Short (JR), Kim (Y), Kuus (M) et Wells (H), « The dirty little secrets of world cities research : Data problems in comparative analysis », International Journal of Urban and Regional Research, 1996, p. 695-717 ; Vion (Antoine), La constitution des enjeux internationaux dans le gouvernement des villes françaises (1947-1995), Thèse de science politique, Rennes I, 2001, p. 12.
Ce courant de recherche est notamment alimenté par les travaux de Dommergues (Pierre), Gardin (Nannin), Les stratégies internationales des métropoles régionales, Paris, Syros, 1989 ; Soldatos (Panayotis), Les nouvelles villes internationales : profil et planification stratégique, Aix en Provence, Serdeco, 1991 ; Soldatos (Panayotis), Le rôle international des villes à l’aube du millénaire. Paradiplomatie, gouvernance et planification stratégique innovantes. Une perspective nord-américaine, Bruxelles, Bruylant, 2003 ; Plasse (Micheline), « La politique d’internationalisation de Montréal : une politique en devenir », Revue québécoise de science politique, n° 19, p. 37-63 ; Harding (Alan) (dir.), European cities towards 2000 : Profiles, Policies and Prospects, European Institute of Urban Affairs, Manchester University Press, 1994.
Fry (Earl H.), Radebaugh (Lee H.), Soldatos (Panayotis) (dir.), The new international cities era, Provo, Provo University Press, 1989.
Van den Berg (L), Van Link (HA), « Strategic networks as weapons in the competition among european cities and regions », Revue d’intégration européenne, vol. 15, n°2-3, 1992.
Voir le chapitre 9 « Cities in the world scenario » dans Borja (Jordi), Castells (Manuel), Local and global. Management of cities in the information age, Londres, Earthscan Publications, 1997, p. 207.
Voir par exemple, dans une même perspective de recherche, Bonneville (Marc), « Une revue de recherche sur les villes et l’internationalisation », Revue d’économie régionale et urbaine, vol. 1, n°2, p. 133-157.
Vion (Antoine), La constitution des enjeux…, op. cit. ou encore Pinson (Gilles), Vion (Antoine), « L’internationalisation des villes comme objet d’expertise », Pôle sud, n° 13, 2000, p. 85-102.
Ibid.