2. Méthodologie et protocole d’enquête

Le travail s’appuie sur deux types de sources, orales et écrites. La centaine d’entretiens semi-directifs réalisés vise à reconstituer un (des) historique(s) de la procédure ou des actions s’y rapportant, les lieux au sein desquels les acteurs recueillent des informations, se forment, etc. (questions informatives), à recueillir des données sur le travail quotidien des acteurs impliqués, à identifier leurs formations, leurs parcours socio-professionnels et leurs réseaux relationnels et, enfin, à récolter des informations sur les intérêts, les stratégies, les positionnements et les rôles de ces acteurs dans la fabrique du patrimoine mondial et la gestion des inscriptions. Les entretiens ont, au fur et à mesure que l’enquête avance, pour objectif de vérifier des traits majeurs ou d’approfondir un récit cohérent qui semble se dessiner à partir de la mise en regard des deux enquêtes. Nous avons adapté ces grilles d’entretien au contexte particulier de chacune des villes afin de comprendre la dimension complexe de la gestion du patrimoine mondial. Par exemple, la notion de patrimoine est d’abord saisie et définie par le gouvernement québécois, puis, de façon différente, par le gouvernement canadien alors qu’elle est essentiellement stabilisée par la juridiction nationale en France. Dès lors, si l’on définit un secteur d’action autour du patrimoine, le rapport global/local dans ce secteur ne présente pas d’homothétie entre la France et le Canada. Si nos dispositifs d’enquête à Lyon et à Québec sont loin d’être radicalement différents 138 , il ne correspond pas non plus à l’application de grilles d’observation rigoureusement identiques. Afin de mieux repérer les liens entre ces acteurs, entre les différentes scènes au sein desquelles ils évoluent et surtout entre les différentes thématiques présentes dans les discours recueillis, nous avons procédé à un enregistrement quasi-systématique 139 et à une retranscription des entretiens.

L’identification des acteurs à interviewer s’est faite progressivement, conformément au parti pris inductiviste. D’une durée de quarante-cinq minutes à trois heures, les entretiens ont été réalisés au cours de l’hiver 2001 et des automnes 2002 et 2003 à Lyon, des hivers 2003 et 2004 à Québec et enfin, de manière plus précise, au cours des automnes 2003 et 2004 auprès du secrétariat de l’Icomos international et du secrétariat du Centre du patrimoine mondial. Ces entrevues se déroulaient généralement avec une seule personne, mais dans certaines circonstances, nous avons rencontré deux personnes en même temps. Enfin, nous avons vu plusieurs fois certains acteurs centraux. Ceci a permis d’échanger avec plus de quatre-vingt-dix enquêtés. En outre, ces entretiens ont été réalisés, au sein des deux villes, auprès de représentants politiques municipaux et d’agents de ces municipalités concernés par la procédure d’inscription ou sa gestion, auprès de fonctionnaires d’État travaillant dans des services déconcentrés parfois impliqués dans de telles démarches, auprès de membres de comités de citoyens ou d’associations d’habitants mobilisés et enfin auprès de représentants d’instances parapubliques susceptibles de prendre part à ces procédures. Ces séries d’entretiens, effectuées à l’échelle municipale, ont été complétées par des enquêtes menées au plan national, auprès des fonctionnaires des administrations centrales des gouvernements québécois, canadiens et français et auprès d’organismes (essentiellement associatifs) travaillant sur le patrimoine et le patrimoine mondial. Suivre la fabrique des biens du patrimoine mondial et la gestion d’une inscription dans deux villes amène en effet vers ces acteurs ainsi que vers des individus évoluant dans des espaces transnationaux ou intergouvernementaux. Des entretiens auprès du personnel du secrétariat de l’Icomos international et du Centre du patrimoine mondial se révélant nécessaires, nous avons interrogé une dizaine d’agents ou de vacataires de ce Centre. Les investigations de terrain menées aux échelles municipales et nationales avaient déjà conduit à rencontrer des individus prenant part à ces scènes en tant que militants, évaluateurs, décideurs, etc. Nous n’avons pas jugé opportun, compte tenu de notre questionnement, d’élargir les investigations de terrains à de nombreux autres participants les investigations de terrain. Cette troisième série d’entretiens a essentiellement consisté en la rencontre d’agents ou de permanents de ces structures. La lecture et la perception de l’espace transnational résultent donc d’une approche par les villes de Lyon et de Québec.

Ces entretiens sont donnés à « entendre » à travers des citations, les plus nombreuses possibles, présentes dans le corps du texte. Un tel choix induit bien sûr quelques limites. La mobilisation de ces paroles et de ces témoignages comme administration de la preuve pose le problème de la représentativité des récits exploités particulièrement ici lorsqu’il s’agit de récits relatifs aux scènes transnationales 140 . La « technique » de l’entretien contient cependant, ainsi que le rappelle Stéphane Beaud, une « force heuristique » et un « pouvoir de généralité » 141 propre si l’on en respecte certaines règles, celles notamment de l’entretien approfondi enchassé dans une enquête de terrain. Ces sources orales sont ainsi, le plus possible, confrontées et croisées à des sources écrites.

Les sources écrites mobilisées pour ce travail relèvent de quatre grandes catégories déclinées également sur les échelles municipales, nationales et transnationales. Il s’agit d’abord de document officiels : les dossiers d’inscription de l’arrondissement historique de Québec et du site historique de Lyon ainsi que ceux d’autres sites inscrits, les textes internationaux relatifs au patrimoine mondial (émanant de l’Unesco, de l’Icomos international ou des comités nationaux de cet organisme), les compte-rendus des réunions du Comité du patrimoine mondial et ceux de son bureau, les rapports et les publications de l’Unesco et de l’Icomos international sur ce thème, les déclarations, les textes de loi relatifs à la protection du patrimoine dans chacun des pays, les communiqués de presse émanant des différentes institutions mobilisées, etc. L’analyse de ce corpus documentaire apporte d’abord des informations indispensables sur les discours officiels de l’Unesco, de l’Icomos international et des administrations nationales, sur la manière dont ces documents viennent encadrer les débats et les discussions autour de la fabrique de nouveaux biens du patrimoine mondial (débats qui prennent place en différentes scènes, notamment nationales et transnationales). Nous avons ensuite pu consulter des archives. Il s’agit d’archives institutionnelles et personnelles. Les archives municipales à Québec 142 ont permis de retracer l’histoire de la procédure et l’environnement institutionnel et politique au sein duquel elle a été développée. Les archives du Comité de quartier du Vieux Québec, du Conseil des Monuments et des Sites du Québec et celles de la Renaissance du Vieux Lyon, de même que les archives personnelles de Léonce Naud à Québec 143 apportent une autre approche des mêmes évènements et permettent de définir d’autres analyses par rapport aux lectures institutionnelles des procédures à l’œuvre et de leurs réceptions locales. Elles sont essentiellement constituées d’articles de journaux, de courriers échangés, notamment avec les institutions politiques urbaines, et enfin de rapports et dossiers relatifs à des projets urbains. Ces documents sont réalisés par des habitants ou des représentants des associations. Certaines archives de l’Icomos Canada, l’Icomos France et l’Icomos international ont également été mises à notre disposition. Ces dernières demeurent cependant succinctes, ces organismes se méfiant visiblement de toute personne extérieure 144 . La troisième série de sources écrites utilisée pour cette étude est constituée des documents circulant au sein des diverses scènes observées. Il s’agit d’un type de source essentiel pour ce travail. C’est en effet à travers elle que les circulations sont, sinon données à voir, du moins rendues saisissables. Les périodiques publiés par l’Unesco, l’Icomos international, les comités français et canadien de l’Icomos, l’Ovpm ou encore les associations urbaines, les conférences et les rencontres, les manifestations ou les sessions de formations qu’ils organisent (auxquels nous accédons par les actes) sont autant d’éléments essentiels pour comprendre les circulations et leur contenu. Enfin, un quatrième type de sources écrites s’est révélé indispensable pour mener les enquêtes de terrain et pour inscrire les procédures d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial dans le champ du patrimoine. Il s’agit des ouvrages présentant le patrimoine de Québec et de Lyon, l’histoire politique et socio-économique de ces deux villes ainsi que celle de leur développement urbain 145 .

Notes
138.

Ce que propose Léa Lima pour son travail sur la lutte contre l’exclusion des jeunes en France et au Québec.

139.

Peu des enquêtés ont refusé d’être enregistrés. Voir la liste des entretiens réalisés.

140.

Il est cependant important de remarquer que cette difficulté n’apparaît pas de la même façon lorsqu’il s’agit d’analyser des stratégies ou des légitimités d’action ou de donner des informations factuelles. Dans le second cas, nous tentons de palier cette difficulté en précisant les sources écrites (administratives, contractuelles, etc.).

141.

Beaud (Stéphane), « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’entretien ethnographique », Politix, n° 35, 1996, p. 226-257. Il s’agit alors de mener des entretiens longs et enregistrés (puis retranscrits) auprès d’enquêtés choisis par l’enqueteur et avec lesquels le lieu et la durée de l’entretien auront été préalablement négociés. Ces entretiens visent à obtenir des données objectives et subjectives, ainsi que des anecdotes de façon à saisir le plus possible les différents aspects de la réalité sociale.

142.

L’inscription du site historique de Lyon est encore récente et les documents ne sont pas encore déposés aux archives municipales. Ce sont ici essentiellement les documents sélectionnés par le centre de documentation de l’agence d’urbanisme de Lyon qui ont permis de retracer l’histoire de la procédure et l’environnement institutionnel et politique lyonnais au sein duquel elle a été développée.

143.

Nous avons eu accès à ces archives lors de nos séjours dans la ville.

144.

Nous reviendrons, dans le corps du texte, sur les biais que cela implique.

145.

Nous renvoyons le lecteur à la notice méthodologique en annexe.