III. Plan de l’étude et de la thèse

Nos enquêtes de terrain donnent à voir des interactions complexes entre différentes scènes lors de la quête, de l’obtention, puis de la gestion d’un label international. Les municipalités lyonnaise et québécoise se présentent, lorsqu’elles ont obtenu ce label, comme des modèles, des exemples de la « bonne gestion » du patrimoine urbain, diffusant alors certaines pratiques urbaines, mais aussi nationales, au sein de l’espace transnational structuré autour du patrimoine mondial. Leurs implications dans la mise en œuvre de la Convention de 1972 les conduisent à modifier certaines pratiques relatives au patrimoine, à renouveler leurs représentations de cet objet et, partiellement, les outils de sa gestion en se référant, d’abord et avant tout, au cadre national d’action. La gestion de ce label international par des municipalités urbaines pourrait alors être suivie d’effets et d’usages conditionnés par des cultures nationales et des pratiques étatiques. La thèse s’organise donc autour de trois grandes parties :

I. Du patrimoine historique au patrimoine mondial : l’émergence locale d’un enjeu politique

La première partie de la thèse porte sur la quête du label international, sur la construction des dossiers de candidature relatifs à l’arrondissement historique de Québec et du site historique de Lyon. En analysant les contextes dans lesquels de telles initiatives voient le jour, elle cherche à repérer les motivations, les ressources et les capacités d’action des acteurs engagés. On s’interroge notamment sur les liens établis entre patrimoine historique et patrimoine mondial ainsi que sur les effets générés par les interactions entre ces différentes scènes.

Le premier chapitre vise à vérifier que les définitions et les processus politiques d’identification du patrimoine mondial et du patrimoine historique sont liés. En restituant rapidement l’histoire de la construction en tant que patrimoine urbain des territoires lyonnais et québécois concernés, le chapitre explicite la stabilisation de modes de régulation précis entre État et municipalités pour ce qui a trait au patrimoine urbain. On s’intéresse alors aux facteurs et aux contextes qui permettent l’émergence d’une telle initiative et observe comment celle-ci est saisie, par quelques acteurs, comme une solution à des problèmes publics plus anciens.

Le deuxième chapitre interroge la mise en cohérence de l’action initiée localement avec, d’une part, la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial et, d’autre part, les politiques urbaines plus traditionnelles. En analysant le processus de « transnationalisation » du patrimoine, on cherche à savoir comment certains acteurs (des passeurs) se saisissent des normes internationales, des cadres cognitifs et normatifs de l’Unesco pour confronter les définitions du patrimoine établies par différentes scènes et rendre les discours caractérisant les patrimoines urbains lyonnais et québécois compatibles avec les critères internationaux définissant le patrimoine mondial et avec les valeurs universalistes sur lesquelles il est fondé. Dès lors se pose la question de savoir si les interactions entre les multiples scènes se poursuivent lors de l’obtention du label et ce que devient cet enjeu politique local lorsqu’il est confronté au processus de décision.

II. Décréter le patrimoine mondial : circulations transnationales et consolidation d’un enjeu politique urbain

La deuxième partie de la thèse s’intéresse à l’obtention du label, donc au processus de décision de l’inscription de sites sur la Liste du patrimoine mondial. Elle étudie l’espace transnational de circulation spécifiquement constitué autour du patrimoine mondial. On cherche alors à comprendre comment les inscriptions de nouveaux biens sur la Liste sont accompagnés d’un travail politique complexe au cours duquel des enjeux et des débats internationaux, nationaux et locaux autour du patrimoine mondial se confrontent et se nourrissent mutuellement. En resituant les inscriptions sur la Liste du patrimoine mondial dans l’action plus globale de l’Unesco, cette partie s’interroge sur les mécanismes de la prise de décisions, sur les régulations alors à l’œuvre, ainsi que sur les opportunités d’action engendrées par les circulations entre les différentes scènes concernées.

Le troisième chapitre de la thèse revient sur la manière dont les propositions d’inscription sont traitées. On se consacre, d’abord, aux acteurs mobilisés lors des procédures d’évaluation et de décision, aux objectifs poursuivis et au travail alors réalisé. Ce chapitre révèle la co-existence de deux logiques distinctes qui se déclinent à chacune des échelles d’action et qui structurent des enjeux et des débats internationaux et nationaux, ainsi qu’une opération de traduction en « langage universel » des réponses municipales, résultat des travaux d’évaluation des dossiers de candidature. Il questionne enfin les contraintes de légitimation qui structurent le processus de décision.

Le quatrième chapitre observe les activités municipales lors du processus de décision. Il dévoile des actes cachés, des relations informelles qui participent à la structuration de l’espace transnational et qui alimentent la constitution d’enjeux politiques liés au patrimoine mondial sur les différentes scènes en interaction. En montrant la consolidation d’un tel enjeu politique local, le quatrième chapitre s’interroge sur les possibles effets en retour de la participation de municipalités urbaines à cette action internationale. Il cherche notamment à caractériser les rôles des circulations d’informations et de pratiques, ceux des voyages de certains individus et ceux des relations multi-niveaux sur la réussite des procédures d’inscription et, partant, sur la fabrique de biens du patrimoine mondial. Reste alors à savoir comment les municipalités se saisissent finalement de cet enjeu politique lié au patrimoine mondial pour développer des actions publiques urbaines.

III. Gouverner une ville labellisée Patrimoine mondial

La troisième partie se fonde sur une observation des activités élaborées et mises en œuvre au sein des villes de Lyon et de Québec suite aux inscriptions sur la Liste du patrimoine mondial, afin d’en étudier les effets. Elle cherche à comprendre comment la « problématisation » du patrimoine mondial, résultant de la quête et de l’obtention du label international, peut conduire à un renouvellement de certaines pratiques locales, ainsi qu’aux participations des municipalités à certaines activités politiques et scientifiques, pensées dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial. Cette partie porte donc sur la capacité des villes à s’organiser en réseau et à peser sur les régulations qui président à la quête et à l’obtention du label.

Le cinquième chapitre revient sur la réception réservée, au sein des villes, à l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial d’une partie du territoire urbain. L’organisation des villes du patrimoine mondial étant présentée comme une opportunité pour les élites municipales d’investir l’espace transnational de circulation structuré autour du patrimoine mondial, ce chapitre cherche à comprendre comment les élites municipales se saisissent du label, des représentations renouvellées du patrimoine et, enfin, de l’enjeu politique que l’obtention de ce label a engendré.

Le sixième chapitre de la thèse interroge l’Ovpm (et, partant, le transnational) comme outil de gouvernement et vecteur d’autonomisation des villes et s’intéresse aux interdépendances résultant de la participation de municipalités à la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial. En quoi ces nouveaux paramètres de la participation des municipalités à l’action internationale perturbent-ils les régulations antérieures ? Remettent-ils en jeu les modes de régulations établis entre les municipalités et les Etats, par exemple ?

L’analyse réalisée à partir des expériences lyonnaise et québécoise dévoile l’existence d’un espace transnational spécifique et structuré autour du patrimoine mondial au sein duquel ces municipalités agissent de façon différenciée et évolutive au cours du temps. La quête du label crée d’abord les conditions d’émergence d’un enjeu politique local autour du patrimoine mondial. L’obtention du label, à travers des interactions et des discussions politiques et scientifiques autour de cet objet, consolide cet enjeu. Il est alors saisi par les élites municipales et développé, à travers le renforcement de circulations au sein de cet espace, en termes de gouvernement et en termes de positionnement concurrentiel.