La prise en considération d’un patrimoine historique à Québec résulte de la mise en relation de trois représentations différentes d’un même lieu, le Vieux Québec. Ces trois représentations émanent d’acteurs dont les enjeux et les stratégies sont souvent divergents, voire contradictoires. Leur mise en relation, au cours des années 1960, aboutit à la reconnaissance et à la légitimation, par les instances provinciales, du patrimoine historique du Vieux Québec. La plus partagée et la plus ancienne de ces représentations est l’approche économico-touristique du quartier. Elle provient d’abord du syndicat d’initiative de Québec, de la Chambre de commerce et de l’industrie et des commerçants. Elle est aussi rapidement prise en compte par l’équipe municipale. La seconde correspond à une approche architecturale et à une représentation culturelle des villes dans les sociétés occidentales et donc au Canada. Cette représentation demeure le fait d’un cercle restreint d’initiés, architectes et professionnels du patrimoine. Enfin la troisième, très exclusive à Québec, est la représentation politique de cet espace liée aux revendications du statut de capitale nationale. Elle émane avant tout du personnel politique de la ville et s’inscrit dans les tensions politiques et les régulations entre les trois paliers gouvernementaux.
Les premiers guides touristiques sur le Québec mentionnent, dès la fin du 19ème siècle, le caractère exceptionnel et majestueux du site, lui conférant alors une valeur touristique et donc économique certaine 211 . Plus largement, les travaux réalisés sur les tensions entre tourisme et patrimoine à Québec montrent que les principaux acteurs du tourisme, au premier rang desquels le syndicat d’initiative de Québec ou encore la Chambre de commerce, s’appuient sur la dimension esthétique et historique pour promouvoir la ville auprès des touristes. La clientèle est alors ciblée : les riches touristes européens et la bourgeoisie de l’est des Etats-Unis. Riche de son Château Frontenac et situé à proximité des fortifications et des Plaines d’Abraham, la vieille ville, dont les fonctions demeurent multiples en 1960 (habitats, activités commerciales, etc.), est avant tout considérée par les maires successifs comme un « espace ludique » 212 . Là également, l’intervention étatique apparait nécessaire et déterminante pour affirmer la nécessité de politiques de protection et de conservation du patrimoine. Toutefois, ce n’est pas l’État fédéral qui intervient, mais le gouvernement québécois.
Différents travaux universitaires analysent la proximité entre patrimoine culturel et tourisme à Québec et concluent à une relation très étroite entre les deux secteurs, le patrimoine historique étant saisi par les élites municipales à travers le tourisme et les politiques publiques que ce secteur nécessite. Cf. De Blois (Martin), L’évolution des rapports entre les politiques du patrimoine et du tourisme au Québec, Québec, Mémoire de maîtrise de sciences politiques, Université Laval Québec, 1997 ; Geronimi (Martine), Le Vieux-Québec au passé indéfini…, op. cit. ; Geronimi (Martine), Québec et la Nouvelle-Orléans. Paysages imaginaires français en Amérique du Nord., Paris, Belin, Mappemonde, 2003 ; Rocher (Marie-Christine), Le traitement du patrimoine urbain. Analyse de Mons, regards sur Québec, Québec, Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval pour l’obtention du grade de Philosophae Doctor, 2001.
EZOP-Québec, Une ville à vendre. Rapport remis au Conseil des œuvres et du bien-être de Québec, 1972. Tome 1 : Lamarche (François), Pour une analyse marxiste de la question urbaine. Tome 2 : Couillard (Robert), Marché immobilier et création d’un centre-ville : le cas de Québec. Tome 3 : Robert (Lionel), Racicot (Pierre), La politique de la rénovation urbain : le cas québécois. Tome 4 : Doré (Gérard), Mayer (Robert), L’idéologie du réaménagement urbain à Québec. Le rapport a été réédité en format condensé : EZOP-Québec, Une ville à Vendre, Laval, Editions coopératives Albert Saint-Martin, 1981. Ces intellectuels ont façonné leur théorie au contact des comités de citoyens, ils sont en fait issus de la troisième génération de l’Ecole des sciences sociales de l’Université Laval. Le désir de tester leur hypothèse au contact du réel les a conduit à partager la cause des victimes, comme le souligne Paul Villeneuve. Villeneuve (Paul), « Changement social et pouvoir municipal à Québec », Cahier de Géographie de Québec, 68, 1982, note 37, p. 233.