Au début des années soixante, lors des conflits entre les habitants du Vieux Lyon et le maire Louis Pradel, Régis Neyret préside la Renaissance du Vieux Lyon. Il est, dès lors, présenté comme l’un des principaux défenseurs du quartier et reconnu comme l’un des instigateurs du secteur sauvegardé de 1964 257 . Les tensions alors très vives entre Louis Pradel et l’association d’habitants auraient pu se traduire par une ferme opposition entre le maire lyonnais et Régis Neyret. Le « combat pour la sauvegarde du Vieux Lyon » 258 marque, au contraire, le début d’une longue coopération entre cet associatif et les élus municipaux successifs pour ce qui a trait au patrimoine. Expliciter les conditions qui l’ont amené à s’intéresser au patrimoine aide alors à comprendre l’évolution de ces relations et la naissance progressive d’une interdépendance entre élus lyonnais et Régis Neyret pour tout ce qui a trait au patrimoine local.
Son entrée au sein de la Jeune chambre économique lyonnaise est décisive dans la constitution de son intérêt pour le patrimoine. Il y adhère en 1957 en tant que cadre, gérant d’une société d’édition, et en tant que « connaissance » 259 des créateurs de cette structure 260 . Il y investit, avec « quelques copains » 261 la commission Tourisme. Ces jeunes acteurs économiques lyonnais initient alors une étude portant sur l'intérêt archéologique et touristique du Vieux Lyon ainsi qu’une réflexion sur les possibilités de réhabilitation économique et de développement touristique du quartier 262 qu’ils estiment « déshérité » 263 . L’action de ces jeunes cadres leur permet de découvrir plus finement les enjeux urbanistiques des centres-villes et facilite leur sensibilisation à la notion de patrimoine. Leur mobilisation est en effet contemporaine des évolutions que subit la notion au cours des années 1960 (cf. supra). Mieux, la rhétorique prônant sauvegarde, protection et mise en valeur, émanant essentiellement d’universitaires, devient d’abord un élément essentiel de leur réflexion : protéger constitue alors, selon eux, un moyen d’atteindre leur objectif initial, à savoir développer le tourisme dans le Vieux Lyon. Cette rhétorique universitaire représente, ensuite, une forme de légitimité des actions qu’ils initient. De fait, la plupart d’entre eux se mobilisent au sein de la Renaissance du Vieux Lyon et deviennent habitants du quartier. Ils se présentent comme des personnalités aux ressources intéressantes, sinon indispensables, pour l’association d’habitants mettant en avant leurs implications dans la vie économique lyonnaise et leurs relations privilégiées avec les élus municipaux. C’est ainsi que Régis Neyret est élu président de la Renaissance du Vieux Lyon en 1961. L’investissement relaté ici ne correspond toutefois pas aux activités professionnelles de ces individus. La carrière professionnelle de Régis Neyret se déroule ainsi entièrement dans le secteur de l’édition à Lyon 264 . Elle lui permet, d’ailleurs, de s’approcher des édiles lyonnais, puis de maintenir un contact, tout au long de sa vie, avec les acteurs économiques. Plus largement, la représentation sentimentale du patrimoine du Vieux Lyon, qu’il défend vigoureusement à travers la Renaissance du Vieux Lyon, est d’autant mieux perçue par les élus lyonnais que Régis Neyret et ses comparses de la Jeune chambre économique lyonnaise ne manquent pas de rappeler la valeur économique que pourrait constituer le quartier.
L’activité, toujours importante en ce début des années 2000, du couple Neyret au sein de la Renaissance du Vieux Lyon et celle de Régis Neyret au sein de nombreuses associations locales, régionales, nationales et transfrontalières également dédiées au patrimoine (cf. infra) contribuent à légitimer sa participation aux politiques publiques relatives au patrimoine lyonnais. De fait, les trente années consacrées à la réhabilitation puis à la valorisation du Vieux Lyon lui permettent d’être une référence pour l’ensemble des éléments patrimoniaux lyonnais. La proximité qu’il entretient, tout au long de sa vie, avec les élites politiques et économiques lyonnaises, lui permet, à la fin des années 1980, de prendre part à deux grands projets de protection et de réhabilitation de patrimoine pilotés par la municipalité. Sous le titre de délégué général de la Halle Tony Garnier, Régis Neyret est ainsi chargé, en 1987, par la municipalité lyonnaise de suivre l’évolution des travaux de restauration du bâtiment. Celle-ci relève d’un projet plus large de réhabilitation du quartier de Gerland (8ème arrondissement de Lyon) dont l’une des principales ambitions est le rayonnement international de la ville. Régis Neyret ne manque d’ailleurs pas de le rappeler :
‘« A ce moment là avec l’aval de Moulinier [adjoint à l’urbanisme de la Ville de Lyon], j’ai constitué un petit groupe international, ce qui était un peu nouveau à Lyon aussi, de personnalités pour essayer de réfléchir ensemble, donc là-dedans il y avait un Anglais qui était spécialiste des… qui avait travaillé au musée des sciences et techniques de Londres et à la Villette à Paris qui était spécialiste de la culture scientifique, il y avait un Italien complètement génial, son nom m’échappe… J. Macchi. C’était des gens qui parlaient français heureusement, parce que je ne parle pas anglais et Moulinier non plus. Il y avait un Suisse, patron d’un groupe de presse, il y avait aussi quelques Français en particulier un garçon qui s’appelait Laurent qui avait complètement modifié le musée dauphinois à Grenoble. Il y avait aussi François Barriot, donc tout un groupe qui était je crois à l’époque président de Beaubourg. » 265 ’L’« expert associatif », durant les quatre ans où il occupe cette fonction 266 , multiplie les relations et les initiatives en faveur de la valorisation du patrimoine Tony Garnier à Lyon 267 et surtout entretient son titre de « Monsieur Patrimoine ». Il prend soin de toujours participer aux actions innovantes en matière de patrimoine ou de présenter, au plan local, les activités qu’il dit initier comme novatrices. C’est également de cette manière qu’il raconte sa participation à l’élaboration de la zone de protection du patrimoine architectural, urbanistique et paysagère (ZPPAUP) des Pentes de la Croix-Rousse au début des années 1990. Son rôle relève alors de la médiation ; il s’appuie sur ses activités antérieures en faveur du patrimoine pour inciter les acteurs du quartier à venir discuter. De ses collaborations avec la municipalité lyonnaise, Régis Neyret tire une grande conclusion : aucune politique du patrimoine digne de ce nom ne sera mise en place à Lyon tant qu’aucune « structure vouée à la gestion du patrimoine [au sens du champ scientifique] au sein de la municipalité » 268 n’existera. Il publie de nombreux articles dans les journaux lyonnais, dénonçant l’absence de politique patrimoniale à Lyon ou encore le manque de services et de moyens dédiés au patrimoine local 269 . Ce faisant, Régis Neyret se met au service des élus lyonnais et défend les prérogatives et les compétences que ces acteurs devraient, selon lui, obtenir. Il reprend d’ailleurs à son compte, dans ses argumentaires, nombre des éléments constitutifs de l’Esprit lyonnais. Mieux, à travers un tel discours, c’est la remise en cause, par un acteur local, de la prégnance étatique dans la gestion du patrimoine historique qui est donné à voir. Il ne manque d’ailleurs pas de critiquer les pratiques étatiques et de souligner la dépendance trop importante, selon lui, des acteurs municipaux aux décisions étatiques.
Le parcours militant de Régis Neyret montre une grande continuité dans la volonté de mise en valeur du patrimoine du Vieux Lyon. Sa participation à la protection d’autres lieux et bâtiments lyonnais ne le détourne pas de son ambition première. Elle permet toutefois de le présenter comme le défenseur de l’ensemble du patrimoine lyonnais. Parmi les jeunes cadres économiques qui investissent la Renaissance du Vieux Lyon, il est celui qui se positionne le plus sur la thématique du patrimoine historique. Nous souhaitons maintenant expliquer cette particularité. De fait, Régis Neyret ne s’est pas contenté d’investir des associations locales, il a également su et voulu développer un savoir particulier sur le patrimoine et sa gestion.
Scherrer (Frank)., Une association de défense…, op. cit.
C’est ainsi que Régis Neyret aime à nommer cette période.
Entretien avec Régis Neyret, 30 septembre 2004.
La Jeune Chambre Economique de Lyon est créée en 1954 sur l’initiative de jeunes entrepreneurs lyonnais en lien avec la Jeune Chambre économique de France.
Entretien avec Régis Neyret, 30 septembre 2004.
Les membres de la commission entreprennent, notamment, une enquête auprès des historiens locaux, des journalistes et des autorités municipales. En 1957, ils publient un rapport intitulé "Suggestions pour le Quartier Saint-Jean" dans lequel ils demandent en particulier d'associer le quartier aux fêtes du Bimillénaire de Lyon prévues pour 1958 et proposent pour la première fois un circuit de visite du Vieux Lyon.
Scherrer (Frank)., Une association de défense…, op. cit.
Il lance des revues telles que Résonnances en 1953 avec deux collaborateurs. La revue vise au départ les abonnés de l’association philharmonique et s’étend rapidement (compte tenu des engagements des trois collaborateurs) au patrimoine et au Vieux Lyon. Par la suite, il lance Bref Rhonalpes, une lettre d’information hebdomadaire confidentielle en 1966 après avoir transformé la publication Metallurgie en Entreprise Rhonalpes. En 1970, il lance le premier journal de la Chambre de commerce : L’Activité économique. Et enfin, il termine sa carrière dans le milieu de l’édition avec la création de Lyon Gourmand.
Entretien avec Régis Neyret, 30 septembre 2004.
La restauration proprement dite de la Halle n’a duré qu’un an et demi. Dès 1989, l’adjoint à la culture de Lyon, J. Oudeau, a organisé un groupe responsable de la valorisation de la Halle Tony Garnier. Composé de personnalités lyonnaises, ce groupe peut être rapproché d’un Conseil d’administration pour lequel Régis Neyret assure jusqu’en 1992 la gestion quotidienne.
La manifestation La Halle des enfants d’Europe s’est ainsi tenue durant trois semaines dans la Halle, avec la collaboration de J. Valleron. Cette manifestation visait à faire découvrir la Halle Tony Garnier aux lyonnais. Par la suite, la Halle est devenue l’un des principaux lieux de spectacles, de concerts et d’expositions de Lyon.
Entretien avec Régis Neyret, 30 septembre 2004.
Voir notamment son implication continue pour définir, défendre et valoriser l’« Esprit lyonnais », notamment à travers ses ouvrages, parmi lesquels : Neyret (Régis), Renaissance. Histoire du Vieux-Lyon, Lyon, Ed. Réalisation, 1961 ; Neyret (Régis), Lyon à livre ouvert. Quelques pages d’écrivains qui furent à Lyon, Lyon association Culturelle de la librairie Lyonnaise A livre ouvert, 1978 ; Neyret (Régis), Vieux-Lyon : naissance d’une renaissance : le tournant des années 60, Lyon, Lyon 5 : Renaissance du Vieux Lyon, 1991 ; Neyret (Régis), Le livre de Lyon, lugdunoscopie, Lyon, LUGD, 1995.