III. ne mise à l’agenda délicate

En repérant les principaux éléments des trajectoires de ces deux « entrepreneurs politiques », nous avons pointé des connexions entre ces individus et des acteurs participant quotidiennement à la gestion du patrimoine historique de Lyon ou de Québec. Ainsi, Régis Neyret et Jacques Dalibard ne participent pas officiellement aux configurations d’acteurs identifiées dans la première section de ce chapitre, ils n’en sont toutefois pas d’illustres inconnus. Mieux, l’analyse précédente montre que les représentations des inscriptions sur la Liste qu’ils développent ne correspondent pas aux stratégies habituellement élaborées par ces configurations d’acteurs. De fait, alors qu’à Québec, la logique de valorisation domine, Jacques Dalibard souhaite une amélioration de la protection du patrimoine via l’inscription sur la Liste. Régis Neyret, quant à lui, poursuit son ambition initiale et cherche à développer le tourisme dans le Vieux Lyon alors même que la configuration d’acteurs lyonnaise (au sein de laquelle il est parfois impliqué) privilégie la protection et la conservation du patrimoine. Comment, dès lors, ces individus réussissent-ils à imposer leur solution ?

Le décalage constaté invite à questionner les conditions des mobilisations des principaux acteurs concernés par la gestion des patrimoines historiques : les municipalités urbaines et les gouvernements nationaux. Il s’agit donc, dans cette section, de repérer les arguments auxquels les « entrepreneurs politiques » se réfèrent et ceux qui emportent l’adhésion des élus afin de comprendre les principaux objectifs politiques poursuivis à travers ces actions ainsi que les perturbations que ces actions pourraient engendrer ou les luttes qu’elles pourraient réactiver. De fait, identifier et analyser les argumentaires développés par les deux hommes afin de sensibiliser les maires des villes, puis éventuellement de mobiliser ces configurations d’acteurs ou au contraire de les écarter, révèlent les conditions dans lesquelles leurs solutions sont mises à l’agenda. Ces conditions correspondent à un moment décisif dans la réalisation des procédures d’inscription, non seulement parce qu’alors les démarches sont engagées, mais également parce que la « formulation adoptée et la solution préconisée de ce fait établissent qui pourra intervenir directement, comment et avec quels appuis » 304 . Pour une meilleure compréhension des enjeux politiques liés à la proposition d’une telle solution, nous avons choisi d’exposer séparément le travail de sensibilisation mené auprès des gouvernements nationaux et celui opéré auprès des maires lyonnais et québécois. Il convient toutefois de garder présent à l’esprit que ces travaux de sensibilisation sont simultanés. Nous essaierons d’ailleurs de montrer qu’ils se nourrissent mutuellement. Si les adhésions étatiques, politiques comme scientifiques, sont obtenues relativement aisément, l’analyse suivante montre que les mobilisations des maires sont plus complexes. Nous cherchons également, dans cette section, à repérer les connexions réalisées entre patrimoine et patrimoine mondial et à identifier les obstacles ou les freins liés aux enjeux politiques constitués autour du patrimoine historique, dont nous avons retracé brièvement la constitution précédemment.

Notes
304.

Lagroye (Jacques), Sociologie politique, Paris, Presse de sciences po et Dalloz, 1997 (3ème édition), p. 459.