La procédure internationale est d’autant plus facile à appréhender que son cadre d’action est connu et intégré par les principaux protagonistes. Les lieux officiels et institutionnels de transmission (les délégations nationales auprès de l’Unesco et les commissions nationales auprès de l’Unesco) ne sont que très peu mobilisés par ceux qui mettent en œuvre ces projets. Plus largement, les méthodes lyonnaises de recueil d’informations laissent voir la grande volonté de ces derniers de mener seuls le projet à terme. Précisons d’abord que la question des contraintes « externes » se pose très peu à Québec. De fait, l’« entrepreneur politique » canadien possède déjà une expertise scientifique et intellectuelle fine du patrimoine mondial et dispose donc d’un accès direct aux informations ainsi qu’à certaines interprétations des cadres d’action internationaux. Il complète aisément, dans le cadre même de ses missions professionnelles ou militantes 390 , les informations dont il a besoin. Son positionnement stratégique permet alors d’éviter la mobilisation trop importante de certaines administrations fédérales, en particulier celles traitant des relations internationales, ainsi qu’une politisation du projet.
La situation lyonnaise est plus complexe. Le binôme constitué de Régis Neyret et du secrétaire général de l’Hôtel de Ville de Lyon ne possède pas une expertise scientifique et intellectuelle suffisante en matière de patrimoine mondial et ne dispose pas de contacts personnels directs auprès de représentants scientifiques des institutions concernées. La stature d’envergure nationale du maire lyonnais permet toutefois un recueil des informations et des détails nécessaires à l’action sans avoir recours aux administrations étatiques. Les propos de Azzedine Beschaouch, rencontré par Régis Neyret le 20 décembre à Paris, viennent corroborer les éléments présents dans les trois documents que ce dernier remet alors, selon les enquêtes de terrain, à Régis Neyret : la Convention du patrimoine mondial, les Orientations pour la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial et enfin le formulaire type auquel est jointe une annexe Comment remplir le formulaire. Azzedine Beschaouch, archéologue, est chargé de mission, à cette époque, à la Délégation culturelle de l’Unesco. Il propose une lecture avant tout procédurale de la fabrique de la Liste du patrimoine mondial rappelant notamment que le dépôt, par l’Etat auprès du secrétariat général de l’organisation, de dossiers de candidature doit être effectué selon des délais extrêmement précis : avant le 1er juillet de l’année pour un résultat en décembre de l’année suivante 391 . L’aspect temporel et le portage étatique du projet constituent deux contraintes importantes en regard des objectifs que s’est fixés la municipalité lyonnaise. En outre, les propos de l’agent de l’Unesco se font insistants sur la qualité de la présentation du bien proposé et des justifications apportées 392 : il souligne amplement la nécessité d’un travail de définition du patrimoine mondial à partir des caractéristiques du patrimoine historique, alors même que les Lyonnais l’avaient écarté. Dès lors le voyage de Régis Neyret à Paris et, partant, son incursion sur la scène internationale que constitue l’Unesco engendrent des évolutions de l’agencement d’acteurs et révèle des transferts d’informations entre l’institution internationale et des scènes locales en dehors de toute médiation étatique. Plus largement, l’initiative de Régis Neyret témoigne de sa stratégie d’évitement systématique des acteurs étatiques quels qu’ils soient, ainsi que de sa volonté de demeurer au centre de la mise en œuvre du projet d’inscription. Reste alors à comprendre comment se font les ajustements des conditions de l’action à ces contraintes « externes ».
Il participe alors au bureau de l’Icomos international et est membre, bénévolement, de la délégation canadienne au Comité du patrimoine mondial. Il possède donc une double lecture : celle des spécialistes mandatés lors de l’expertise scientifique des dossiers et celle du jury constitué de représentants des Etats. Il connaît non seulement la procédure administrative, mais sans doute mieux encore le contenu exigé dans les dossiers de candidature.
Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial culturel et naturel, Paris, Unesco, 1997. Aucun délai n’est précisé, en revanche, concernant le temps écoulé entre la demande des formulaires et la remise des dossiers de candidature.
Le formulaire que l’Unesco remet aux Etats contient cinq grands chapitres de présentation du bien : 1. Localisation précise, 2. Données juridiques, 3. Identification, 4. Etat de préservation et de conservation, 5. Justification de l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Les deux premiers chapitres sont relativement simples à réaliser dans la mesure où ils requièrent des données factuelles. Le troisième présente un historique, une description et un inventaire du bien proposé, de la documentation photographique ainsi qu’une bibliographie. Il nécessite des connaissances précises de ce bien. Le chapitre 4 implique une expertise scientifique du patrimoine local.