II. Les laboratoires de la fabrique des dossiers de candidature ou la relecture des représentations locales du patrimoine

L’attention est portée, dans cette section, sur la manière dont les dossiers de candidature sont concrètement construits afin d’observer la réalisation d’une action impliquant plusieurs niveaux d’action dont l’Unesco. La fabrique de ces dossiers correspond à la première étape du travail d’inscription, encadré par des normes et des règles déterminées par l’Unesco et par ses organes consultatifs. Il s’agit donc ici de comprendre par quels mécanismes et grâce à quels acteurs les mises en cohérence des discours sur les patrimoines historiques avec les normes et les critères internationaux sont réalisées. Un tel travail relève d’une opération de traduction 402 permettant le passage de conceptions locales ou nationales du patrimoine historique à une approche cohérente avec la Convention du patrimoine mondial. C’est donc l’éventuelle existence d’un processus de transnationalisation que nous souhaitons observer. Deux « laboratoires » bien différents sont mobilisés lors de cette opération : les associations transnationales de protection du patrimoine 403 et les ressources locales que les « entrepreneurs politiques » ont rassemblées. L’analyse suivante cherche à comprendre comment et dans quelle mesure chacun de ces laboratoires participe à l’opération de traduction, puis quels sont les obstacles et les freins à une telle opération et, enfin, quels sont les facteurs déterminants lors de la fabrique de dossiers de candidature. Autrement dit, nous cherchons à repérer les scènes mobilisées, celles qui donnent accès aux ressources nécessaires à l’action, etc. et, partant, à repérer les relations et les régulations à l’œuvre lors de ce travail politique visant une « transnationalisation » du patrimoine urbain. A partir de cette analyse, il sera alors possible de dire si les dossiers de candidature correspondent à des réponses territorialisées à ce que les acteurs locaux appellent souvent une « offre internationale ».

Notes
402.

La traduction est entendue ici comme la translation qu’il est nécessaire d’adopter pour que les justifications du patrimoine local deviennent recevables par l’Unesco et ses organes consultatifs. Ce processus de traduction se rapproche des traductions littéraires, Cf. Casanova (Pascale), « Consécration et accumulation de capital littéraire. La traduction comme échange inégal », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 144, 2002, p. 7-20. Nous ne procèderons pas ici à une analyse de la traduction telle que proposée par Michel Callon ou à son application aux politiques politiques proposée par Florian Charvolin. Une telle approche aurait nécessité une enquête de terrain assez différente de celle menée dans le cadre de notre recherche en accordant notamment une place beaucoup plus grande aux ressources documentaires et à l’observation des réunions de travail. Voir Callon (Michel), « Elements pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’année sociologique, numéro spécial, « La sociologie des sciences et des techniques », n° 36, 1984, p. 169-207 et Charvolin (Florian), L’Invention de l’environnement en France, Paris, La Découverte, 2003.

403.

Il s’agit, pour le patrimoine culturel, de l’Icomos international