Les argumentaires construits présentent des images très positives de l’action municipale. La mise en scène est d’abord perceptible dans la forme des dossiers de candidature où séries de cartes, plans, photographies et diapositives viennent compléter les explications écrites. Le dossier correspondant à l’arrondissement historique de Québec est ainsi constitué d’un mémoire relié comprenant les vingt pages de présentation puis des annexes cartographiques et photographiques. Les textes de lois et les documents officiels relatifs aux politiques de protection de ce patrimoine, ainsi que les guides de conservation et de mise en valeur sont joints, de même que quelques ouvrages de référence sur le patrimoine historique : Québec, trois siècles d’architecture ; Québec ville fortifiée du XVIIe au XXe siècles ainsi que le Plan-relief de Québec. Le dossier lyonnais est, quant à lui, présenté dans un coffret en cuir 475 comprenant quatre volumes 476 rouges présentant les armes de Lyon dont « les feuilles sont de qualité supérieure » 477 . L’ensemble constitue presque un « beau livre » sur la ville, son histoire, ses caractéristiques et ses particularités. Quelques livres leur sont également joints : Le rayonnement du catholicisme lyonnais au XIXe siècle. De Fourvière au bout du monde, 1946-1996 ; 50 ans de la Renaissance du Vieux Lyon ; Monuments historiques, Lyon 478 . De fait, les argumentaires développés insistent sur certaines caractéristiques et mettent en valeur des évènements, des institutions ou bien encore passent certains faits sous silence. Ces absences ou, au contraire, ces mises en exergue tendent à réécrire les enjeux politiques autour du patrimoine, les relations entre institutions et à valoriser certaines d’entre elles.
Une première absence, commune aux deux dossiers, apparaît de façon criante. Les luttes urbaines, à travers lesquelles ont été forgées les représentations politiques des patrimoines historiques, ne sont pas mentionnées. Les deux argumentaires laissent ainsi penser que les patrimoines lyonnais et québécois existeraient en soi et ne résulteraient pas de constructions socio-politiques. Le rôle majeur des Etats (qu’il soit provincial dans le cas québécois ou national dans le cas lyonnais) dans la préservation du patrimoine est minimisé, voire même oublié. Ainsi, par exemple, n’est-il pas fait allusion aux querelles d’experts et aux conflits urbains qui ont accompagné le projet de réhabilitation de Place Royale à Québec. Il n’y a pas non plus de référence à l’habitat qualifié par l’ensemble des fonctionnaires municipaux en charge de l’urbanisme d’habitat insalubre au début des années 1980 dans le Vieux Québec 479 , ni aux changements de population qui ont suivi les réhabilitations du quartier. Les luttes urbaines à l’origine de la protection nationale du Vieux Lyon sont également occultées, excepté lorsqu’il s’agit de présenter le rôle des associations d’habitants. De fait, présenter les grandes querelles des années soixante-dix à Québec reviendrait à raviver un débat sur l’authenticité du patrimoine. De manière similaire, exposer les projets de Louis Pradel et l’opposition qu’ils ont soulevée montrerait que les municipalités lyonnaises successives se sont davantage intéressées à la problématique du développement qu’à celle de la protection du patrimoine. Si le premier chapitre de la thèse a montré comment les acteurs étatiques imposent aux élus municipaux la protection du patrimoine historique, l’analyse du contenu des dossiers de candidature dévoile que ces élus municipaux y sont présentés comme de fervents défenseurs du patrimoine. Les mises en exergue de certains éléments ou l’absence de certains faits tendent alors à construire une histoire de la protection du patrimoine relativement linéaire, sans conflit et résultant de coopérations et d’actions pour lesquelles les municipalités auraient un rôle important non seulement en termes de valorisation, mais aussi, et surtout, en termes de protection. Dans les dossiers de candidature de Québec, la municipalité et les gouvernements provincial et fédéral sont systématiquement mentionnés conjointement, aussi bien dans la rubrique Données juridiques 480 que dans la rubrique Etat de préservation. Les dossiers de candidature de Lyon confèrent, quant à eux, un rôle prépondérant aux instances municipales et communautaires. Ainsi, dans la rubrique Administrations responsables, sont seulement mentionnés « La Ville de Lyon : la Mairie de Lyon, les Mairies des 1 er , 2 ème , et 5 ème arrondissements ; La Communauté Urbaine de Lyon (« le Grand Lyon ») ; Les Services d’urbanisme de la Ville et du Grand Lyon, avec principalement l’Agence d’Urbanisme » 481 . Le ministère de la Culture et le Service départemental de l’architecture et du patrimoine sont mentionnés dans l’entrée Organisations associées, au même titre que les organisations privées et associatives dont le rôle est régulièrement mis en valeur tout au long du document 482 . La volonté de valoriser les actions des institutions publiques, notamment celles des municipalités, est bien moins visible dans les dossiers de candidature de Québec que dans ceux de Lyon. Si ces explications donnent à voir des actions homogènes élaborées par des acteurs unis, certaines relations entre institutions apparaissent remise en jeu. Sans opposer actions municipales lyonnaises et actions étatiques, le dossier de candidature du site historique de Lyon souligne, logiquement compte tenu de ce qui précède, l’action de la municipalité dans la préservation du patrimoine. Les dossiers de candidature constituent donc une vision idéalisée, magnifiée de la ville et de son patrimoine historique comme des actions et des pratiques municipales à l’égard de ce patrimoine. En outre, il ressort des propos précédents que les liens établis par les fabricants des dossiers de candidature demeurent totalement maîtrisés par ces derniers. Reste à comprendre pourquoi certains dossiers de candidature vont au-delà d’une seule description et analyse scientifique de ce qui fait patrimoine, c’est-à-dire au-delà d’une simple réponse au formulaire de l’Unesco, et présentent des représentations magnifiées des villes.
Le coffret en cuir est réalisé gracieusement par Myriam Basset (Ecole du Livre Jean Grolier – Lyon) et les soiries sont confectionnées par Dutel S.A., Jacques Dutel.
Le premier volume comprend la réponse au formulaire, les volumes 2 et 3 comportent de la documentation cartographique et photographique et le quatrième volume, très technique, est constitué de l’ensemble des textes juridiques de protection des différents quartiers proposés à l’inscription [Sont présentés en intégralité les textes relatifs à la Loi sur les Monuments historiques, au Plan d’occupation des sols, à la Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysagé et enfin le Plan de sauvegarde (correspondant au secteur sauvegardé)].
Pércisions apportées par nombre de nos enquêtés lyonnais.
Le rayonnement du catholicisme lyonnais au XIXe siècle. De Fourvière au bout du monde, Musée Gadagne, Lyon, 1996 ; 1946-1996, 50 ans de la Renaissance du Vieux Lyon, Renaissance du Vieux Lyon, 1996 ; Monuments historiques, Lyon, Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites, 1996.
Géronimi (Martine), « Sentiment patrimonial et préservation d’une ville du patrimoine mondial : les résidents du Vieux Québec entre patrimoine et tourisme », dans Maria Gravari-Barbas, Habiter le patrimoine. Enjeux, approches, vécu, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 451-466.
En face de l’entrée Administrations responsables figurent les trois échelons gouvernementaux. Pour chacun sont précisées les instances intervenant effectivement. Proposition d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial soumise par le Canada, Arrondissement historique de Québec, 1983, n° ordre : 300, p. 1.
Dossiers de candidature de la Ville de Lyon, Site historique de Lyon, Proposition soumise par la France, 1997, 4 Volumes, n°ordre : 872, Volume 1, p. 8
Idem, p. 9