I. Un travail entre définitions savantes et enjeux interétatiques

La lecture des textes internationaux encadrant la phase de travail des consacrants révèle une forte volonté de soumettre les propositions d’inscription à la même procédure d’évaluation, quelle que soit l’organisation politico-administrative gérant les sites concernés 506 . Quand on se penche sur les dossiers d’inscription, constitués des dossiers de candidature et des « fiches d’évaluation », aucune information sur les individus participant effectivement à leur fabrication, qu’il s’agisse de leur nom, de leur profil, de leurs spécialités ou encore de leur nationalité, ni même sur les conditions et sur les modes d’évaluation n’apparaissent. Seuls sont mentionnés l’organisme qui réalise les fiches d’évaluation, l’Icomos international, et la date de leur élaboration, juillet 1985 pour Québec et octobre 1998 pour Lyon. La légitimité d’une inscription sur la Liste ne dépendrait donc ni de la position des personnes « consacrantes », ni de logiques propres aux organisations concernées. Ce constat, comme les propos nombreux et concordants de Lyonnais et de Québécois témoignant de leur vision de l’Unesco comme d’un niveau hiérarchique supérieur, invitent à s’attarder un instant sur les acteurs qui concrètement participent à ces évaluations et aux décisions d’inscrire un site local. De fait, les travaux sur les phénomènes transnationaux ont déjà mis en évidence les circulations entre de multiples scènes, les tensions et les luttes qui président à la consécration de biens 507 , révélant alors un contraste important entre ces conclusions de recherche et la présentation lisse du processus de décision qui ressort tant des documents de l’Unesco que des récits recueillis lors des enquêtes de terrain. Reste à savoir ce que masque une telle présentation d’un processus de décision structuré en deux grandes étapes : une évaluation « scientifique » menée par l’Icomos international à partir de laquelle les membres du Comité du patrimoine mondial décident de valider ou de différer les inscriptions. Nous cherchons à comprendre comment ces deux étapes sont réalisées et comment elles sont liées l’une à l’autre. Nous montrerons que l’analyse de ce travail donne finalement à voir un espace transnational spécifique structuré autour du patrimoine mondial.

Notes
506.

 Unesco, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, 2005 – Annexe 6.

507.

Voir notamment la structuration de l’espace littéraire tel que le présente Pascale Casanova : il est finalement constitué d’un centre (Paris) et de plusieurs cercles somme toute hiérarchisés. Casanova (Pascale), La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1999.