2. Le patrimoine mondial pour les savants : circulations, légitimités et cooptations internationales

Les procédures d’évaluation des propositions d’inscription résultent de circulations nombreuses notamment parmi les savants du patrimoine. Ces derniers, même s’ils partagent une culture commune, n’ont pas toujours les mêmes représentations du patrimoine historique et ne sont pas engagés de la même manière dans les activités initiées au sein de l’Icomos international. Les conséquences des circulations observées précédemment concernent non seulement les individus qu’elles mobilisent, notamment à travers une légitimation de leur savoir et de leurs connaissances, mais entraînent également des modifications des rapports de force au sein de l’Icomos international. Ces dernières sont l’occasion, par exemple, de repositionnements, y compris scientifiques, des comités français et canadien de l’Icomos. Ces repositionnements peuvent être lus comme une tentative de maîtrise des enjeux scientifiques auxquels ils sont confrontés. De fait, les agents de l’Icomos international comme ceux des comités nationaux s’évertuent à maintenir vivantes les connexions établies, au cours de la procédure d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial, entre adhérents de l’Icomos international. Bien plus, à travers les circulations réalisées lors de la procédure d’évaluation, certains acteurs locaux sont impliqués dans des activités scientifiques déclinées au plan national ou encore au-delà des Etats : ils sont alors susceptibles de renouveler leurs représentations du patrimoine historique. Nous verrons plus loin que ces implications ne sont pas sans conséquences sur les effets et les usages locaux des inscriptions sur la Liste du patrimoine mondial (cf. partie III).

Pour, saisir comment les acteurs que nous venons d’observer sont impliqués dans des activités scientifiques internationales, nous nous proposons d’étudier les trajectoires socio-professionnelles de trois individus particulièrement impliqués dans les processus de décision relatifs aux biens lyonnais et québécois. Nous nous attacherons plus précisément ici aux Québécois. En effet, les circulations impliquant ces acteurs entrainent, par des effets en retour, des conséquences, à plus long terme, nettement plus importantes au Canada où la législation en matière de patrimoine est plus récente et moins contraignante et surtout où les pratiques sont moins routinisées qu’en France. Les débats et les enjeux scientifiques relatifs aux définitions du patrimoine et du patrimoine historique y sont alors très vifs.