II. Les élus locaux et la publication du « décret public patrimonial » international : une participation maîtrisée

Le troisième chapitre de la présente recherche a largement souligné l’implication essentielle des savants du patrimoine dans la définition scientifique des biens du patrimoine mondial, mais aussi le rôle décisif des Etats et du Comité intergouvernemental dans l’existence effective de ces biens. Ce troisième chapitre a montré que des débats et des enjeux scientifiques et politiques traversant l’espace transnational de circulation et des activités scientifiques et politiques qui y sont pensées et déclinées conditionnent la fabrique des biens du patrimoine mondial. Si une partie des activités scientifiques internationales sont données à voir à certains acteurs locaux lors de la procédure d’inscription (cf. supra), les débats et les enjeux politiques internationaux sont pour partie également perçus et saisis au plan local. Autrement dit, le processus de décision correspond à un moment où « problématisations » locales du patrimoine mondial et enjeux politiques internationaux autour de cette notion interagissent. Reste alors à savoir par qui et comment. L’analyse du processus de décision invite à en observer deux moments précis pour comprendre comment l’enjeu politique local progressivement constitué autour de la proposition d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial est diffusé, modifié et renforcé par les dynamiques internationales : la visite in situ au cours de laquelle les élus municipaux rencontrent un « expert » du patrimoine mondial et la réunion du Comité du patrimoine mondial réunissant des délégations nationales généralement politisées. Les connexions entre des acteurs porteurs de logiques internationales et des représentants municipaux prennent alors place au sein d’organisations politico-administratives structurées où s’exercent des rapports de force. Elles sont, de fait, inséparables des chaînes d’interdépendances qui lient les acteurs les uns aux autres, les institutions les unes aux autres, mais aussi à d’autres acteurs ou d’autres organismes apparemment extérieurs. L’action engagée auprès de l’Unesco, y compris le processus de décision, ne peut donc se soustraire aux chaînes d’interdépendances au sein desquelles évoluent les municipalités. Ces dernières voient à travers l’État un potentiel relais politique pour participer (voire pour tenter d’infléchir) au processus de décision, donnant alors à voir que des élus municipaux sont cooptés dans des activités politiques internationales portant sur le patrimoine mondial.