La lecture des affiches et des discours de promotion ainsi que l’analyse des campagnes de communication mises en œuvre suite aux inscriptions sur la Liste permettent d’identifier les objectifs visés, le contexte des élaborations des campagnes et le public concerné par de telles actions. Il ressort de cette étude que l’inscription sur la Liste devient, pour les élus municipaux 815 , un faire-valoir, un levier pour promouvoir la ville et son site sur le plan touristique et à l’échelle internationale avec des références systématiques à d’autres villes : Barcelone, Milan ou Genève pour Lyon, Montréal pour Québec 816 . Elaborées rapidement comme à Québec ou plus difficilement comme à Lyon, les stratégies de représentation et de promotion des villes à partir des inscriptions sur la Liste sont volontairement présentées, par les élites municipales et les acteurs du tourisme, comme la poursuite d’actions plus anciennes dites de rayonnement international. De fait, le patrimoine mondial semble ici relever de « potentialités territoriales » 817 sur lesquelles les municipalités pourraient fonder leurs actions de communication et de publicité. Cette perception de la notion de patrimoine mondial est cohérente et confortée par un engouement, particulièrement important à la fin du 20ème siècle, des populations en faveur du patrimoine 818 .
La mobilisation politique autour de l’inscription sur la Liste, plus rapide à Québec qu’à Lyon, se concrétise, dans la ville canadienne, par des manifestations (la cérémonie du 3 juillet 1986, l’exposition Québec patrimoine mondial) dont les contenus témoignent du désir d’expliquer la démarche et les critères de l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’arrondissement historique de Québec, de les rendre lisibles et visibles 819 . Les explications visent alors non seulement les touristes, les étrangers en voyage à Québec, mais également, du moins au début, les habitants, les commerçants ou encore les fonctionnaires de la Ville 820 . Lors de ces manifestations municipales et de la publication d’articles de presse, une expression est créée : il n’est plus seulement question de Québec, patrimoine mondial, mais de « Québec, joyau du patrimoine mondial » 821 . En insistant ainsi sur la richesse de la ville, les Québécois tendent à faire du patrimoine mondial un événement promotionnel à valoriser, si possible sur le long terme 822 . La municipalité québécoise, aidée en cela à la fin des années quatre-vingt par l’Office du tourisme, s’approprie définitivement la décision du Comité du patrimoine mondial et la présente comme une réussite politique 823 valorisée tant auprès des Québécois que vis-à-vis des visiteurs. L’arrondissement historique déjà largement valorisé auprès des touristes devient la vitrine de Québec et du Québec. Plus, l’inscription de cet arrondissement sur la Liste est l’occasion de diversifier le tourisme à Québec : les campagnes de promotion sont alors pensées à destination des Européens, et ne visent plus seulement les Américains 824 .
Si l’évolution des campagnes de promotion de la Ville de Québec est manifeste, elle se traduit toutefois principalement en termes touristiques. Le glissement similaire qui se produit à Lyon résulte de l’élaboration de stratégies visant l’augmentation de la notoriété et du rayonnement international de la ville de Lyon. De fait, les pressions conjointes d’adhérents de la Renaissance du Vieux Lyon et des membres du bureau de l’Office du tourisme 825 (parmi lesquels Régis Neyret) engendrent la mise en place d’une campagne de communication, d’une ampleur encore peu égalée, visant à promouvoir Lyon à l’échelle internationale. Si cette action s’appuie fortement sur l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial, la philosophie de la Convention de 1972 et la notion de patrimoine, sont, comme dans le cas québécois, rapidement relayées au second plan 826 . La campagne de communication est orchestrée par le groupe EuroRSCG 827 choisi pour l’occasion par un jury composé notamment de représentants municipaux, du dirigeant de l’Office du tourisme de Lyon et de représentants de l’Aderly ; Régis Neyret figurant également parmi les membres de ce jury 828 . La rédaction de l’appel d’offres présente l’inscription non seulement comme un évènement à valoriser, mais également comme une opportunité pour redéfinir et surtout justifier une stratégie de rayonnement international à Lyon 829 . La décision de l’Unesco, à travers laquelle un bien du patrimoine mondial est créé, devient donc un levier de promotion de la ville non seulement à travers son patrimoine historique, mais également « en communiquant plus largement sur les atouts de Lyon – culturels, économiques, qualité de vie, universités, recherche – (…) » 830 . Les rédacteurs de l’appel d’offres (l’Office du tourisme, la municipalité lyonnaise et l’Aderly 831 ) précisent ensuite que les cibles visées doivent être locales, nationales et internationales, conformément à la dynamique d’internationalisation de Lyon, émanant de la municipalité et de la Communauté urbaine de Lyon 832 . Les termes utilisés dans l’appel d’offre montrent enfin qu’il s’agit, à Lyon, de renouer avec une ambition politique plus ancienne cherchant à transformer Lyon en une « métropole de rang européen » 833 et non d’utiliser l’inscription sur la Liste comme seul levier touristique. La formule retenue et mise en œuvre prévoit trois ans de communication à partir d’affiches grand format et, plus largement, d’outils classiques de communication (dépliants, plaquettes, encarts publicitaires, vidéos, livres, guides, etc.) distribués en particulier aux tours opérateurs, aux entreprises et à tout organisme susceptible de promouvoir Lyon 834 . Il est possible, à travers les choix effectués ici, de repérer l’influence de discours, régulièrement entendus à Lyon, stigmatisant notamment la faible notoriété de la ville et l’absence de touristes ou encore l’écho d’idées véhiculées à travers l’Esprit Lyonnais. Les grandes affiches placardées dans toute la ville, dans la région et transmises tout au long de la campagne de communication proposent ainsi deux expressions : « Lyon, patrimoine de l’humanité » et « Et si nous dévoilions nos secrets ? ». Mieux, le lancement de la campagne de communication montre une volonté politique d’utiliser cette inscription pour développer, consolider et surtout légitimer des stratégies de rayonnement international à Lyon. Des petits déjeuners de presse sont organisés à Paris et à Lyon, d’autres à New York, des journalistes étrangers sont invités, des émissions de radio sont organisées 835 . La mise en parallèle des titres de journaux est également révélatrice : « La ville de Lyon entre en campagne » 836 , « Le réveil de la ville de Lyon » 837 ou encore « Lyon bouscule les mentalités locales pour s’ouvrir au monde » 838 . Cette intervention de la municipalité lyonnaise dans la rhétorique sur la concurrence entre ville fonde sa légitimité sur la décision de l’Unesco, comme le souligne le document explicatif « Lyon sort de sa réserve » dont le premier paragraphe justifie ainsi de la campagne de communication : « L’Unesco, en l’inscrivant au patrimoine mondial de l’humanité, a joué un sacré tour à Lyon, l’obligeant à sortir de sa légendaire réserve » 839 .
Les municipalités lyonnaise et québécoise utilisent ainsi l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial comme un levier, un atout pour consolider leurs politiques et leurs actions liées à la rhétorique d’internationalisation des villes. L’événement promotionnel que constitue la création de biens du patrimoine mondial est parallèlement rapidement intégré dans des dynamiques touristiques ou publicitaires marginalisant alors la notion de patrimoine mondial au profit d’un discours sur l’international. Le glissement qui s’opère s’accompagne d’évolutions des engagements de certains partenaires : les principaux fabricants des dossiers de candidature, fervents défenseurs de la protection et de la conservation du patrimoine, ne participent ni à l’élaboration ni à la mise en œuvre de telles stratégies. Ainsi, Denis Saint Louis, Jacques Dalibard, Didier Repellin ou son jeune stagiaire et même les agents de la Division du Vieux Québec sont-ils très en retrait. Parallèlement, la mobilisation des directeurs des Offices du tourisme se fait plus pressante. Les discours des maires lyonnais et québécois trouvent là des déclinaisons précises et fidèles aux engagements qu’ils prônaient et à la « problématisation » du patrimoine mondial telle qu’ils l’ont construite. La comparaison de Lyon et de Québec indique que la perception des inscriptions comme événement promotionnel est d’autant plus importante que les élus municipaux développent des discours en faveur d’un rayonnement international et de la mise en valeur de potentialités territoriales, dont le patrimoine ferait partie. Les stratégies de rayonnement international s’accompagneraient, selon nombre d’auteurs, d’une forte mobilisation des acteurs économiques au coté des élus et de la mise en place de partenariats importants (cf. introduction générale). Ces mobilisations participeraient alors de la légitimation de ces politiques et de ces stratégies, en même temps qu’elles en assureraient une certaine pérennité. Reste alors à savoir si la « problématisation » du patrimoine mondial réalisée par Raymond Barre et Jean Pelletier suffit à créer une dynamique locale plus générale et comment une telle « problématisation » est diffusée au plan local. Il convient, dès lors, d’analyser ces actions de communication sur des durées un peu plus longues et en particulier de les observer lors de changements de majorité municipale.
Dans le cas de Lyon, ces perceptions sont accentuées par le fait que le maire de Lyon est également le président de la Communauté urbaine.
On note alors que l’espace de référence reste le Québec, s’étend éventuellement au Canada pour la municipalité québécoise quant la municipalité lyonnaise se pense dans le cadre européen.
Fainstein (Susan S), Judd (Dennis R), The Tourist City, Yale University Press, New Haven and London, 1999.
C’est du moins ce que tendent à montrer les travaux suivants : Rautenberg (Michel), La rupture patrimoniale, Grenoble, A la Croisée, 2003 ; Gravari-Barbas (Maria), Habiter le patrimoine. Enjeux, approches, vécu, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005.
L’exposition Québec, patrimoine mondial devient, à la fin des années quatre-vingt, une exposition itinérante.
La revue Cap-aux-diamants publie quatre fois par an (depuis 1985) des numéros abordant différentes facettes de l’histoire et du patrimoine québécois. Le numéro 6 de la revue Cap-aux-Diamants témoigne également de la volonté de formuler précisément les raisons de l’inscription sur la Liste. Ses conséquences et ses implications sont en revanche beaucoup moins détaillées. L’expression « bien du patrimoine mondial » n’est par ailleurs pas utilisée dans les articles de ce numéro. « Québec patrimoine mondial », Cap-aux-diamants, n° 6, 1986, 87 p.
L’expression est alors reprise par les journalistes, les élus et les fonctionnaires de la ville. Elle apparaît aujourd’hui, à Québec, comme une expression instituée.
Des ouvrages publiés régulièrement reviennent sur cette caractéristique de la ville de Québec, à l’image de cet ouvrage paru en 1995 : Québec, une ville du patrimoine mondial, voir Ville de Québec, Québec, une ville du patrimoine mondial, 1995.
Le curriculum vitae de Jean Pelletier présente cette action comme une réussite personnelle du maire.
Entretien avec Pierre Labrie, Directeur de l’Office de tourisme et des Congrès de Québec, 13 avril 2004. Voir également De Blois (Martin), L’évolution des rapports entre les politiques du patrimoine et du tourisme au Québec, Québec, Mémoire de maîtrise de sciences politiques, Université Laval Québec, 1997.
Ces pressions s’exercent à travers des discussions, mais également à travers les actions mises en œuvre rapidement par l’office de tourisme de Lyon : création d’un logo inspiré de l’inscription sur la Liste, création d’objets touristiques rappelant l’inscription (tapis de souris, etc.).
Voir en annexe, des exemples des affiches produites par la municipalité lyonnaise.
Cette entreprise de communication, dirigée par Jacques Séguéla, est régulièrement sollicitée par le Parti Socialiste et de plus en plus par des municipalités urbaines s’engageant dans ce type de stratégie de communication. Tel est le cas à Lille lors de la candidature pour les jeux olympiques 2008 [Voir Vion (Antoine), La constitution des enjeux internationaux dans le gouvernement des villes françaises (1947-1995), Thèse de science politique, Rennes I, 2001, p. 240]
Cette décision suit un appel d’offres européen lancé en novembre 1999 : « Communication et développement de l’image de Lyon suite à l’inscription au Patrimoine mondial de l’humanité » - Programme fonctionnel, Ville de Lyon.
Su les difficultés rencontrées à Lyon pour établir de telles stratégies, voir Healy (Aisling), « ‘Une gouvernance patronale’ : de l’ouverture des modes de prise de décision publique locaux à la sélection des acteurs participant à l’action économique de la communauté urbaine de Lyon », dans Xavier Engels, Matthieu Hély, Aurélie Peyrin, Hélène Trouvé (dir.), De l’intérêt général à l’utilité sociale ? La reconfiguration de l’action publique entre Etat, associations et participation citoyenne, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2006.
« Communication et développement de l’image de Lyon suite à l’inscription au Patrimoine mondial de l’humanité » - Programme fonctionnel, Ville de Lyon.
Les acteurs économiques ont un rôle non négligeable dans l’élaboration et la mise en œuvre d’actions publiques à visée internationale à Lyon. Voir Healy (Aisling), « ‘Une gouvernance patronale’ : de l’ouverture…, art. cit.
Ibid. Voir également Healy (Aisling), « La gouvernance urbaine comme discours politique. Le plan technopole de la communauté urbaine de Lyon » dans Actes du colloque La ville européenne et ses pouvoirs (Moyen Age-XXème siècle), Paris, L’Harmattan, à paraître en 2006 et Pinson (Gilles), Vion (Antoine), « L’internationalisation des villes comme objet d’expertise », Pôle Sud, n°13, 2000, p. 85-102.
L’expression est régulièrement utilisée dans les documents écrits et lors des journées de réflexions réalisés dans le cadre de Millénaire 3. Voir par exemple : Grand Lyon Prospective, « Une agglomération compétitive et rassemblée. 21 priorités pour le 21ème siècle », Les cahiers Millénaires 3, n°21, 2000.
Les quarante-cinq millions de Francs répartis sur trois ans visent ainsi à sensibiliser les Lyonnais et les Français, la campagne de communication est également développée en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne et sur la Cote-Est des Etats-Unis.
Ville de Lyon, Communication et développement de l’image de Lyon, suite à l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité. Récapitulatif des actions menées de mars à fin mai 2000., Document diffusé par la Ville de Lyon et Ville de Lyon, Campagne « Lyon patrimoine de l’humanité », Retombées presse année 2000, Document diffusé par la Ville de Lyon (2 tomes).
Calvat (Christian), « La ville de Lyon entre en campagne », Le quotidien du Tourisme, 14 avril 2000.
A. D., « Le réveil de la ville de Lyon », Stratégies n°1141, 7 avril 2000.
D’Arfeuille (Flore), « Lyon bouscule les mentalités locales pour s’ouvrir au monde », CBnews, 10 avril 2000.
Si la fréquentation touristique a augmenté au cours des dernières années, il reste toutefois impossible d’associer automatiquement cette augmentation à l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial du site historique. De même à Québec, nous n’avons pu trouver aucun chiffre justifiant d’une augmentation caractéristique de la fréquentation touristique après 1985.