Si les municipalités urbaines ne s’organisent pas collectivement d’elles-mêmes pour peser sur les interactions structurant l’espace transnational, des tensions relativement fortes développées au sein de cet espace tendent à produire les conditions de possibilité d’une mise en réseau de ces villes. Ces tensions portent essentiellement sur la gestion des biens du patrimoine mondial et sur les logiques contradictoires auxquels ils sont soumis : la protection et la valorisation. Les premières réflexions portant sur les fréquentations touristiques des sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial se déroulent, comme du reste la plupart des réflexions techniques ayant trait au patrimoine, au sein de l’Icomos Canada. Il ne s’agit, au départ, que de débats visant à assurer la conservation du patrimoine lors de fréquentations touristiques importantes. Les échanges portent alors principalement sur des techniques de restauration et, marginalement, sur des moyens de réguler les visites de façon à ce qu’elles ne portent que de faibles préjudices. Le comité français de l’Icomos est l’un des pionniers de ces réflexions. Si de tels débats ne sont déplacés que tardivement vers d’autres scènes de l’espace de circulation, ils engendrent tout de même des représentations renouvelées de la dialectique tourisme-patrimoine parmi ces savants du patrimoine. Mieux, c’est à travers de tels questionnements, que les dirigeants et les salariés de l’Icomos réussissent à investir des scènes locales, en particulier les municipalités urbaines. Dès lors, ces savants du patrimoine se présentent également en « traducteurs », capables de relayer les difficultés rencontrées localement auprès du Comité du patrimoine mondial et à l’inverse de proposer des déclinaisons locales aux grandes orientations décidées par ce Comité. L’Icomos international constitue finalement le premier lieu où les différentes déclinaisons de l’enjeu patrimoine mondial sont déplacées, confrontées et, lorsque c’est possible, connectées. Mais comment ces « traducteurs » parviennent-ils à déplacer les enjeux, notamment politiques, déclinés sur les différentes scènes ? Comment réussissent-ils à confronter ces enjeux et à proposer des solutions communes aux problèmes ou aux décalages qu’ils identifient ? Et surtout, comment sont-ils amenés à penser les villes comme ressource pour leurs activités et, partant, à créer les conditions de la création de l’Organisation des villes du patrimoine mondial ? Il convient ici d’observer ces « traducteurs » au travail d’abord en retraçant rapidement le rapport que ces savants du patrimoine entretiennent au label patrimoine mondial, puis en questionnant la création de l’Organisation des villes du patrimoine mondial.
Entretien avec Régina Durighello, Directrice du programme patrimoine mondial – Icomos International, 19 décembre 2003.