I. Politisation de l’objet patrimoine mondial et gestion étatique des biens du patrimoine mondial

La rapide présentation des luttes urbaines, au cours des années soixante, présidant à l’identification du patrimoine historique à Lyon et à Québec (Partie I) a souligné l’existence de différentes représentations du patrimoine 960 (sentimentale, économique, culturelle et politique) ainsi que le rôle décisif et contraignant des régulations établies entre municipalités urbaines et administrations ou gouvernements étatiques dans la résolution de ces luttes. A partir de la fin des années soixante, la représentation culturelle du patrimoine comme objet scientifique prend le pas sur les autres et s’impose aux élus municipaux, sans toutefois que les tensions disparaissent totalement. Les deux premières parties de la thèse ont montré que la fabrique de biens du patrimoine mondial renouvelle ces différentes représentations du patrimoine, tend à remettre en cause l’équilibre établi autour de la prédominance de la représentation culturelle du patrimoine et ravive des enjeux politiques locaux, mais aussi nationaux et internationaux. Dès lors, les régulations entre les municipalités et les Etats pourraient être perturbées, ne serait-ce que partiellement, par la présence, dans l’espace transnational spécifique, des municipalités urbaines via le réseau international de villes. Il nous semble que deux indicateurs doivent être étudiés pour comprendre la nature des régulations entre municipalités et Etats dans le cadre du patrimoine mondial. La manière dont les participants à l’Ovpm appréhendent le patrimoine mondial, et partant le patrimoine tout court, apporte, d’abord, des précisions sur les intérêts urbains défendus ainsi que sur les lieux au sein desquels des actions de lobbying ou de représentations de ces intérêts seraient réalisées. L’hypothèse sous-jacente ici consiste à dire que l’implication des municipalités urbaines dans l’espace transnational et la structuration de l’Ovpm facilitent un renouvellement des représentations locales du patrimoine : plus exactement, la représentation culturelle ne serait plus la seule variable déterminante des politiques urbaines de protection du patrimoine. Observer des situations concrètes de conflits urbains, mobilisant notamment des municipalités et des administrations étatiques, invoquant le patrimoine mondial aide à saisir comment chacun envisage son rôle et ses missions dans le cadre du patrimoine mondial et, par la suite, à analyser les régulations à l’œuvre entre l’Unesco, ses organes consultatifs, les organismes transnationaux travaillant sur le patrimoine (dont l’Ovpm), les Etats et les municipalités urbaines.

Notes
960.

 Nous rappelons que la représentation sentimentale correspond à la relation de l’individu à son environnement (bâtiments, espaces publics, ambiances, etc.) et fonde en partie son identité ; la représentation culturelle renvoie à la relation, établie par les juridictions nationales notamment, entre la collectivité et son environnement ; la représentation économique enfin correspond à la valeur d’échange et d’exploitation du bien en question. Linossier (Rachel), Russeil (Sarah), Verhage (Roloef), Zepf (Marcus), « Effacer, conserver, transformer, valoriser. Le renouvellement urbain face à la patrimonialisation », Les Annales de la recherche urbaine, n°97, 2004, p. 23-26, p. 23.