Les activités de l’Ovpm sont, en 2005, d’abord dominées par les idées de promotion du label international et de sensibilisation des populations. Des processus de diffusion et de sensibilisation à la protection du patrimoine (au sens où l’entendent les savants du patrimoine) ont essentiellement lieu au sein des services administratifs municipaux (cf. infra), bien davantage que dans les lieux de discussion de l’Ovpm. Ces processus lui sont de fait très peu attribués. Les activités de cet organisme se sont progressivement institutionnalisées et structurées autour des congrès organisés tous les deux ans, de la revue bimestrielle Nouvelles de l’Ovpm, réalisée en interne, et des activités initiées par le secrétariat général ou les secrétariats régionaux 983 . Les congrès de l’Ovpm constituent les moments où les orientations de l’organisme sont déterminées (lors de l’Assemblée générale), où ses actions sont affichées et confrontées entre les différentes municipalités et avec des représentants de certaines autres scènes, lors des travaux en ateliers ou des discussions informelles 984 . L’état d’esprit des congrès de l’Organisation correspond à un faire-valoir des expériences municipales et nationales, consolidé par la présence systématique des grands organismes spécialistes du patrimoine culturel. Les participations du responsable du service Architecture, design et patrimoine de la municipalité québécoise visent ainsi non pas à poser des problèmes et des questionnements, mais à exposer les actions et les pratiques québécoises, à expliquer en quoi cette municipalité constitue un exemple, un modèle en matière de protection du patrimoine 985 . Ces présentations passent, par exemple, sous silence les tensions et les difficultés liées aux collaborations et aux relations entre municipalité et gouvernements provincial et fédéral, les pressions des entrepreneurs immobiliers, etc. Il s’agit, à travers ces discours, d’obtenir, essentiellement à des fins domestiques, la conviction des congressistes étrangers afin de mieux légitimer les expériences québécoises. Les différentes contributions orales débutent systématiquement par une présentation élogieuse de ce qui fait patrimoine dans la ville dont il est question, de l’importance de cette ville et de son patrimoine pour l’humanité 986 puis de la bonne gestion de ce patrimoine, avant d’en venir finalement précisément à l’objet du propos. Ce faisant, ces congressistes offrent une représentation magnifiée de la gestion municipale et, de fait, une vision nationale du patrimoine urbain. Quelques individus parlent alors au nom de la ville, construisent et présentent finalement un intérêt collectif relatif au patrimoine urbain, un intérêt qui existerait en soi. Les présentations magnifiées du local participe du travail de légitimation de l’Organisation vis-à-vis de ses partenaires internationaux.
Ces présentations magnifiées des actions municipales à l’égard du patrimoine nous incitent à relativiser pour partie une présentation de l’Ovpm comme porte-parole des municipalités urbaines auprès des organisations internationales ou des échelons gouvernementaux supra communaux. De fait, les démarches de lobbying pour obtenir des financements ou des collaborations ne s’effectuent pas à destination des gouvernements nationaux. Ces derniers participent relativement peu à cet organisme, à l’exception des subventions du Canada et du Québec aux débuts de l’Ovpm et de certains Etats soutenant, de façon sporadique, des municipalités organisatrices de colloques des villes du patrimoine mondial. Les élus locaux apparaissent, aux yeux du secrétaire général, trop dépendants de ces échelons gouvernementaux pour que « l’Ovpm mette son nez dedans » 987 . Il explique ainsi, lors des deux entretiens que nous avons eu avec lui, d’abord que les gouvernements nationaux sont déjà partie prenante, pour la plupart des villes adhérant à l’Ovpm, des politiques de protection ou de valorisation du patrimoine urbain, leurs mobilisations passant par des canaux autres que celui d’une association internationale de villes. Il insiste ensuite sur le fait que ces gouvernements sont également ceux qui ont défini aux plans nationaux comme au plan international la protection et la conservation du patrimoine mondial et, enfin, qu’ils dirigent les grandes orientations du Centre du patrimoine mondial, l’un des principaux organismes garant de la légitimité de l’Ovpm (cf. supra). La représentation des intérêts des villes ne s’effectue donc pas vis-à-vis des administrations étatiques. Les éléments que prône le secrétaire général de l’Ovpm auprès de ces partenaires internationaux ne relèvent pas des politiques et des actions portant sur le patrimoine en tant qu’objet scientifique. Sa réponse à la question des implications d’une inscription sur la Liste du patrimoine mondial permet de saisir ce que les salariés de l’Ovpm défendent auprès de leur partenaires :
‘« C’est énorme, énorme… sur le tourisme. D’ailleurs il y a des difficultés importantes. Il suffit qu’une ville soit patrimoine mondial, pour que le tourisme augmente de façon drastique d’une année à l’autre avec tous les problèmes liés au tourisme de masse : circulation, cars, toute sorte de problèmes qui arrivent avec la bonne nouvelle d’être patrimoine mondial. Mais les retombées économiques, je n’ai pas de chiffres. Il est certain que… (…) Cela a beaucoup d’impacts économiques. On n’arrive pas toujours à savoir jusqu’où on peut avoir du tourisme. Le tourisme peut contribuer à la dégradation du patrimoine. Il y a un équilibre à trouver qui n’est pas toujours facile. On ne peut pas qualifier une ville d’appartenir à l’humanité et refuser à son propriétaire qui est l’humanité de refuser de venir la voir. » 988 ’Les difficultés rencontrées quotidiennement par les administrations municipales dans le cadre de la gestion d’un bien du patrimoine mondial comme label international sont donc les principaux éléments que relaient les représentants de l’Ovpm. Ces sujets et la perception du patrimoine mondial comme label international structurent les débats et les discussions des différents congrès de l’Ovpm 989 . De fait, les présentations réalisées lors des congrès tendent progressivement à proposer une déclinaison du patrimoine non plus seulement comme objet scientifique imposé aux acteurs municipaux, mais également et même principalement comme un objet faisant corps avec la ville et dont la municipalité peut et doit se saisir. Les congressistes réfléchissent ainsi à l’insertion de ce patrimoine dans son environnement, à la dynamisation de ces lieux, notamment à travers des actions innovantes, ou encore aux connexions avec les autres quartiers des villes 990 . Ce faisant, ils discutent à nouveau à partir des représentations sociales et économiques du patrimoine et ne limitent pas à une approche savante ou technique de cet objet (approche associée à une représentation exclusivement culturelle du patrimoine). Le secrétaire général de l’Ovpm insiste en outre sur la faible importance que revêt le patrimoine en tant qu’objet savant pour les maires et leurs équipes municipales, liée en partie à la dimension temporelle :
‘« (…) il y a des petites villes qui ne peuvent pas vraiment se le permettre et le patrimoine nous sommes toujours, ce n’est pas prioritaire, c’est drôle à dire, mais une ville qui a des difficultés financières, va d’abord s’assurer que les rues sont réparées, que les ordures sont ramassées, le patrimoine n’est pas la priorité et cela représente aussi l’une des difficultés de l’organisation. C’est cela aussi ce que nous devons dire et rappeler : pour les maires, protéger le patrimoine n’est pas une fin en soi. Nous nous adressons à des maires et par définition tous les quatre ans il y a des changements au niveau des municipalités et on se retrouve à chaque fois à devoir convaincre les maires de la valeur de son patrimoine, etc. » 991 ’Finalement, alors que l’espace transnational du patrimoine mondial est essentiellement traversé par une représentation culturelle de l’objet patrimoine, portée en particulier par l’Icomos international et par les administrations étatiques en charge du patrimoine culturel, les travaux et les réflexions développés dans le cadre de l’Ovpm tendent à promouvoir et à diffuser au sein de ce même espace des représentations économiques et sentimentales (développées essentiellement au plan local) et, partant, à y re-définir une représentation politique de cet objet 992 . Ceci a deux conséquences essentielles et corrélées : d’abord, les activités de l’Ovpm sont principalement élaborées dans un souci de communication sur les villes du patrimoine mondial et non dans une perspective de développement d’un savoir spécifique aux villes sur l’objet patrimoine ; la défense de tels intérêts passe, ensuite, par des discussions avec des organismes dont les missions et les objectifs sont plus larges que la protection du patrimoine : éducation, sensibilisation à la culture de l’autre.
(source : www.ovpm.org)
Il pourrait donc s’agir, à travers la structuration de l’Ovpm, de rechercher une certaine autonomie plus qu’une interdépendance avec les Etats, voire même, comme c’est le cas pour la ville de Québec, de s’affranchir d’une certaine dépendance vis-à-vis des Etats provincial et fédéral. L’Organisation des villes du patrimoine mondial constitue donc, pour les municipalités, un autre vecteur d’accès à l’Unesco que les seuls canaux étatiques, un autre moyen de participer à la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial. Les adhérents de l’Ovpm tentent de concilier mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, où le patrimoine est appréhendé comme objet technique, et défense des intérêts des villes dans un domaine défini et contraint par les Etats dans chacun des pays (cf. Partie I). Ils présentent l’Organisation comme un acteur savant et légitime pour intervenir sur le patrimoine mondial au sein de l’espace transnational du patrimoine sans pour autant véritablement préciser le savoir et les compétences dont il disposerait effectivement. L’Ovpm a finalement rapidement été amenée à se positionner et à se penser en marge de la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, du moins telle qu’elle est conçue par les savants du patrimoine regroupés au sein de l’Icomos ou de l’Iccrom. Les principaux objets légitimes au sein de cet espace demeurent les biens du patrimoine mondial. Les adhérents de l’Ovpm n’appréhendent pas ces derniers en tant qu’objet scientifique et associent patrimoine mondial à label international introduisant ou renforçant alors d’autres représentations du patrimoine au sein de l’espace transnational. L’analyse précise de situations conflictuelles, opposant des élus municipaux, des habitants et des représentants d’administrations provinciales et fédérales, permettent alors d’affiner notre compréhension du positionnement des dirigeants de l’Ovpm dans les relations entre villes et État ainsi que de la manière dont ce réseau est perçu tant par des acteurs municipaux que par les représentants des administrations étatiques.
Ils ont comme principales missions d’être les relais entre les municipalités de leur région et le secrétariat général de l’Ovpm et ont pour principale mission de « faire connaître et partager les valeurs, les buts et les objectifs de l’organisation » (entretien avec Denis Ricard, secrétaire général de l’Ovpm depuis 1998, 18 mars 2003).
Les activités mises en œuvre en dehors de ces congrès par le secrétariat de l’Ovpm portent exclusivement sur la sensibilisation et la diffusion auprès des populations (projets d’album photos) et plus particulièrement des jeunes (concours de jeunes). Voir www.Ovpm.org
Béjin (Francine), « Conserver les vieux quartiers vivants et animés », Actes du 5ème Colloque international des villes du patrimoine mondial, « L’innovation dans la gestion des villes du patrimoine mondial », Saint-Jacques de Compostelle, 20-24 octobre 1999, p. 62-66 ; Béjin (Francine), « Entretenir la falaise de Québec pour conserver la ville historique : un défi à Québec », Actes du 6ème Colloque international des villes du patrimoine mondial, « Mesures de prévention et de protection des villes du patrimoine mondial en cas de désastre », Puebla, 3-5 octobre 2001, p. 197 – 202 ; Béjin (Francine), Desautels (Jean), « La participation des citoyens dans la gestion et la mise en valeur de l’arrondissement historique de Vieux Québec », Actes du 7ème Colloque international des villes du patrimoine mondial, « Garder le patrimoine vivant. Eduquer et former en vue de la préservation et de la gestion du patrimoine culturel », Rhodes, 24-26 septembre 2003.
Les argumentaires et les justifications des inscriptions sur la Liste du patrimoine mondial sont généralement repris. Idem.
Idem.
Idem.
Voir notamment les thématiques des trois congrès suivants : Ovpm, Actes du 3 ème colloque des villes du patrimoine mondial « La communication – Comment communiquer et échanger des connaissances, en tenant compte des diversités culturelles et linguistiques et des particularités régionales », Bergen, 28-30 juin 1995 ; Ovpm, Actes du 5 ème colloque des villes du patrimoine mondial « L’innovation dans la gestion des villes du patrimoine mondial », Saint Jacques de Compostelle, 20-24 octobre 1999 ; Ovpm, Actes du 7 ème colloque des villes du patrimoine mondial « Garder le patrimoine vivant. Eduquer et former en vue de la préservation et de la gestion du patrimoine culturel », Rhodes, 24-26 septembre 2003.
Voir par exemple les travaux de l’atelier 2 « La communication entre le site et l’environnement. Les problèmes pratiques inhérents à la cohabitation avec un site du patrimoine » dans Ovpm, Actes du 3 ème colloque des villes du patrimoine mondial, « La communication. Comment communiquer et échanger des connaissances, en tenant compte des diversités culturelles et linguistiques et des particularités régionales », Bergen, 28-30 juin 1995.
Entretien avec Denis Ricard, secrétaire général de l’Ovpm depuis 1998, 18 mars 2003.
Nous reprenons ici les expressions représentations sentimentale, économique, culturelle et politique telles que nous les avions utilisées dans la première partie de cette thèse. Voir également Linossier (Rachel), Russeil (Sarah), Verhage (Roloef), Zepf (Marcus), « Entre conflits et synergies. Renouvellement urbain et patrimonialisation », DISP,159, 2005, p. 4-12.