Le patrimoine mondial est en effet d’abord appréhendé, par les élus locaux, comme label international, autrement dit comme une étiquette (à vocation publicitaire ou politique), et non en tant qu’enjeu identitaire ou mémoriel comme ce fut le cas pour la notion de patrimoine dans la plupart des pays occidentaux (notamment en France et au Québec). Saisi comme levier pour établir ou développer des stratégies internationales des villes, le patrimoine mondial apparaît dans un premier temps relativement consensuel. Toutefois, l’essor de débats et d’enjeux nationaux et internationaux, scientifiques et politiques autour de cette notion, contribue rapidement à la constitution d’un enjeu politique local autour des nouveaux récits qui sont alors élaborés. Ces derniers tendent en effet à remettre en question les discours officiels caractérisant le patrimoine historique 1141 . Au terme de notre analyse, le patrimoine mondial constitue, comme le patrimoine en général, un construit socio-politique et résulte d’interactions multiples traversant un espace transnational spécifique. Autrement dit, il est le produit d’une coproduction ou encore d’une « alchimie » 1142 entre des acteurs affiliés à des scènes locales, nationales ou internationales et circulant entre ces scènes. Yvon Lamy s’interroge sur l’existence (en France) d’un processus, autour du patrimoine, donnant naissance à un « monde de l’art spécifique avec ses règles de classification ». Il nous semble que l’espace transnational de circulation spécifique et structuré autour de la notion de patrimoine mondial peut être lu comme un monde de l’art 1143 spécifique qui serait lié à des mondes de l’art structurés autour du patrimoine (dans les pays occidentaux notamment). Les critères de définition des biens du patrimoine mondial engendrent la production de nouveaux récits et de nouveaux discours sur les sites estampillés patrimoine mondial. Ces nouveaux récits tendent alors à effacer le sens que ces sites portaient lorsqu’ils étaient considérés uniquement dans la dialectique municipalité-État et pensés comme vecteur de l’identité nationale. Ces récits prennent finalement sens dans un autre espace et en référence à d’autres objets. De fait, en partant à la quête du label international Patrimoine mondial, les municipalités urbaines entrent dans cet espace transnational spécifique et sont amenées à en adopter certaines règles : elles sont alors face à un bien du patrimoine mondial définissant un nouvel objet patrimonial situé sur le territoire qu’elles gouvernent.
Rappelons que ces discours correspondent à des construits socio-politiques résultant de tensions et des débats entre gouvernements étatiques et représentants locaux notamment. Voir Lamy (Yvon) (dir.),L’alchimie du patrimoine. Discours et politiques, Bordeaux, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1996 ou encore Choay (Françoise), L’allégorie du patrimoine, Seuil, Paris, 1992.
Nous reprenons ici volontairement le terme utilisé par Yvon Lamy pour caractériser la production du patrimoine afin de souligner d’abord la continuité entre ces deux objets ainsi que de pointer la suite complexe de réactions et de transformations alors à l’œuvre. Voir Lamy (Yvon) (dir.),L’alchimie du patrimoine…., op. cit.
Au sens de Howard S Becker. Becker (Howard S.), Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988.