Le premier investissement visait à se familiariser avec le patrimoine mondial, et plus précisément avec le patrimoine mondial culturel, afin de saisir le type d’objet dont il s’agit. La première étape de ce travail a donc consisté à réunir les textes définissant le patrimoine mondial, précisant sa fabrication et ses fabricants officiels et à consulter le plus grand nombre possible d’ouvrages, de document de travail et d’articles de doctrine à son propos. Les références au patrimoine en tant qu’objet scientifique et juridique sont alors apparues déterminantes pour la compréhension du patrimoine mondial, plus encore pour saisir les interprétations nationales et locales de ce second objet.
Un travail de familiarisation avec le patrimoine (à partir notamment du patrimoine historique, mais aussi du patrimoine urbain) en France et au Canada s’est donc très rapidement révélé nécessaire, ces objets étant intimement liés. Toutefois, plutôt que de plonger directement dans les textes définissant la notion de patrimoine au Canada et en France pour notamment saisir les évolutions subies par cette notion et les tensions qu’elles pouvaient susciter (ce qui aurait pu être contradictoire avec l’approche comparative que nous avions entreprise), il nous a semblé plus utile de nous imprégner des travaux de recherche réalisés sur l’objet patrimoine. Sans oublier de l’appréhender comme objet juridique, ces travaux montrent que le patrimoine peut également être saisi comme un objet technique et scientifique (travaux réalisés par des historiens de l’art et des architectes ou portant sur ces individus) ainsi que comme objets politiques, ce que montrent les recherches menées par des sociologues (recherches réalisées essentiellement à partir des années soixante). Nous nous sommes en particulier intéressée aux travaux portant sur le patrimoine urbain, sur sa fabrication, son identification comme patrimoine et enfin sur sa gestion. Il n’y aura pas dans les pages suivantes de restitution directe de ce travail, ce qui serait en grande partie hors sujet. Ces travaux sont toutefois présents dans l’écriture de la thèse, notamment dans la première partie (chapitre 1).
Ces familiarisations avec le patrimoine et le patrimoine mondial ont permis 1164 d’abord, en extrapolant les conclusions des travaux portant sur le patrimoine au patrimoine mondial, d’appréhender ces deux notions comme des construits socio-politiques, comme des objets n’existant pas a priori en tant que patrimoine ou patrimoine mondial. Plus précisément, les travaux portant sur le patrimoine indiquent que des sites locaux sont identifiés, définis et qualifiés de patrimoine (patrimoine historique pour les sites auxquels nous nous intéressons) par l’État à la suite d’un travail politique mobilisant des élites locales, des représentants de l’État, des citoyens, etc. Une juridiction particulière et précise, déterminée par l’État, s’impose alors et contraint les politiques publiques et les actions privées développées sur le site en question. L’identification de sites comme faisant patrimoine au sens national engendre, selon ces travaux, des conséquences importantes en termes d’action publique, ainsi qu’en termes de mémoire collective et d’identité locale. Ces familiarisations nous ont ensuite permis d’orienter le questionnement vers le travail politique qui sous-tend l’identification d’un nouveau bien du patrimoine mondial et ce que ce travail engendre alors au plan local, en particulier dans les régulations entre municipalités urbaines et Etat. Elles ont donc favorisé la construction d’un questionnement sur les acteurs qui participent et/ou permettent ce travail dans un cadre déterminé par une organisation internationale en appréhendant cette action non comme une simple procédure administrative de l’Unesco mais comme un processus politique mobilisant des individus aux affiliations multiples parmi lesquels des acteurs municipaux, étatiques et des représentants d’organisations internationales. Mieux, les entretiens exploratoires donnent à voir la forte implication d’acteurs locaux dans ce processus et invitent à le rapprocher des « stratégies internationales de villes » 1165 et à raisonner en termes d’enjeux politiques et de circulations (d’individus et d’informations, de pratiques ou de savoir-faire). La comparaison entre les deux villes est pensée pour comprendre plus finement ce passage de patrimoine à patrimoine mondial en tenant compte des objets de départ (des justifications, des explicitations et des définitions de ce qui fait patrimoine aux plans national et local). Les enquêtes de terrain ont donc été menées le plus possible en parallèle. Elles portent sur deux terrains essentiellement : les villes de Lyon et de Québec. Une enquête, certes moins approfondie, s’est également révélée nécessaire et bénéfique : celle menée auprès de l’Icomos international et de l’Unesco.
Les enquêtes de terrain sont alors construites à partir des principaux apports de ce premier investissement et de l’intérêt porté aux acteurs et aux circulations d’individus. Elles s’appuient sur des entretiens réalisés auprès des personnes concernées par les inscriptions sur la Liste du patrimoine mondial de l’arrondissement historique de Québec et du site historique de Lyon – appréhendées dans les contextes plus anciens de définition et de gestion du patrimoine historique – ainsi que sur le recueil et l’analyse de sources écrites relatives à ces inscriptions ou au cadre plus général de la Convention du patrimoine mondial.
Nous avons envisagé cette extrapolation suite aux conclusions de notre mémoire de DEA et aux premiers entretiens exploratoires réalisés dans le cadre de cette recherche doctorale.
Voir l’introduction générale de la thèse.